mercredi, décembre 29, 2010

L'OIT vient de publier son rapport mondial sur les salaires.
Deux faits saillants :
   a) Alors que les salaires des pays en développement continuent à croitre, ceux des pays développés sont moins dynamiques.
Ainsi, la hausse du pouvoir d'achat mondial est divisée par deux en 2008 et 2009 si l'on retire la Chine !
De la même façon, la dynamique des salaires des pays développés (5% sur dix ans) est très inférieure à celle des pays en développement (+234 % en dix ans en Europe centrale/asie centrale).

Il n'y a ici rien que du très normal : le salaire des actifs correspond à la redistribution de d'une partie de la valeur produite. Rien d'étonnant à ce que cette part croisse plus vite dans les pays qui sont en train de "remonter la chaine de valeur" que dans les pays (ie, dont les salariés sont en train de migrer de l'agriculture vers l'industrie) que dans les pays pour lesquels la hausse de la valeur produite tient davantage à l'augmentation de la productivité des activités existantes.

   b) L'Afrique affiche une croissance forte du pouvoir d'achat des salaires (+16 %), trois fois plus forte que les pays développés, et supérieure à la zone Amérique latine/Caraïbes
Même si la situation en Afrique est très contrastée, ces chiffres confirment des études récentes qui confirment un décollage.

 Au total, faut-il se féliciter ou regretter ces hausses de salaires ?
    Les optimistes pourraient conclure que la hausse du pouvoir d'achat des pays en voie de développement est un atout et crée des marchés pour nos produits. Elle crée également une prime à la stabilité politique/économique susceptible d'avoir un effet "pacificateur".
    Les pessimistes noteront que cette croissance va probablement tirer les prix des matières premières (pétrole, métaux,....) à la hausse, ce qui risque de ralentir la croissance des pays développés.

Comme toujours, la résultante sera une "prime aux agiles" : les pays développés capables de développer les marchés émergents tout en réduisant leur consommation de ressources non renouvelables seront gagnants, ceux qui s'enfermeront dans la voie inverse seront perdant. A cet égard, nous pourrions prendre exemple sur l'Allemagne dont le redémarrage économique n'est pas sans lien avec le goût pour les exportations, et l'écologie...

samedi, novembre 20, 2010

Démondialisation et protectionnisme : comment concilier défense du modèle social et efficacité économique ?

« C'est ainsi que le droit de douane annule délibérément l'effet de ce qu'on appelle le progrès, qu'il prétend nous ramener à l'état où le monde se trouvait lorsque les transports étaient sinon impossibles, du moins extrêmement onéreux. Un droit de douane disait Bastiat, c'est un antichemin de fer." (J. Rueff, 1980)


Les droits de douane ont mauvaise presse auprès des économistes, qui y voient des outils de protection de certains secteurs économiques insuffisamment compétitifs au prix d’une « taxation » invisible des consommateurs – la collectivité dans son ensemble étant globalement perdante, seuls les secteurs protégés étant gagnants.

A ce sujet, le prix nobel Paul Krugman citait l’anecdote suivante : imaginez un chef d’entreprise textile qui invente une machine miraculeuse qui grâce à un procédé secret, permet de diviser par 10 la production de chemises. Immédiatement, l’inventeur serait célébré comme un héros capable de démontrer l’ingéniosité nationale peut vaincre la force brute des bas salaires. Imaginez maintenant que l’on démontre en fait que la « machine miraculeuse » est en fait un entrepôt, duquel partent des convois qui expédient le textile en Chine et ramènent des chemises. Le héros serait alors immédiatement rabaissé au rang des délocaliseurs.

En partant de cette anecdote, on pourrait conclure que si l’on décidait de taxer les importations dans le second cas, il faudrait aussi taxer l’innovation. On ramènerait alors le débat sur les droits de douane au 
débat sur le modèle social : si la France peut avoir des chemises moins cher elle doit le faire, la seule question étant réussir à trouver un emploi de meilleure qualité pour les salariés et plus utile la société que la production de chemises trop chères ?

Il existe cependant d’autres types de « droits de douane », tels que la « taxe sur le carbone importé », qui vise à faire payer les coûts de dépollution qu’auraient du payer les entreprises des pays qui n’ont pas de réglementation sur les émissions. Il s’agit en effet ici de supprimer une « concurrence déloyale » en privant d’un avantage indu un concurrent dont la compétitivité se fait aux détriments de l’environnement. Il en va de même des « droits de douane sociaux », qui visent à compenser l’avantage indû dont bénéficient les pays qui font travailler dans des conditions de durée du travail, de sous formation, de représentation des salariés ou de santé indignes.
En effet, les importations de biens et de services importent indirectement un modèle social : si on souhaite disposer en Europe d’un modèle différent de celui du moins exigeant de nos partenaires (moins inégal, plus soucieux des salariés, plus écologique), il faut aller au-delà de la libre circulation des biens et services.

Si le principe théorique de ces droits est peu contestable, la mise en œuvre est extrêmement complexe – mais l’enjeu mérite probablement largement quelques études et la recherche du meilleur compromis possible entre complexité et efficacité. Reste ensuite l'essentiel : engager une discussion constructive avec nos partenaires économiques et associer ce projet à une politique ambitieuse d'aide au développement afin de convaincre nos partenaires qu'un tel dispositif ne constitue pas une mesure protectionniste déguisée mais, au contraire, une mesure parmi d’autres pour mettre en place une mondialisation plus humaine.

samedi, octobre 02, 2010

Politique industrielle : une nouvelle voie ?

Dans "L'homme et le marché", j'évoquais les quatre piliers d'un gouvernement - comprendre, réunir, créer et répartir.

Plusieurs leviers peuvent permettre la création de richesse supplémentaires, mais les politiques industrielles (au sens anglo-saxon, c'est à dire les politiques publiques visant à développer autant les services que l'industrie ou l'agriculture) sont la voie le plus mise en avant. Ce débat sépare généralement ceux qui estiment qu'il vaut mieux ne rien faire - le bilan des politiques passées étant au mieux neutre et les moyens de l'Etat limités - et ceux qui estiment qu'avec du volontarisme tout est possible - les questions de coût ou de rendement étant secondaires.

Il est vrai que les contraintes de finances publiques, le développement des accords de libre échange (posant des limites à la discrimination favorable aux "champions nationaux") ou les analyses du bilan des politiques interventionnistes (mitigé, avec des succès comme Airbus, mais également des échecs comme Concorde, Minitel,...) ont poussé beaucoup d'analyste à voir la fin des politiques industrielles.

Mais c'est oublier d'autres voies d'interventions, beaucoup moins couteuses et pas forcément moins efficaces telles que :
      - la coordination entre les stratégies publiques et les stratégies privées, dans des secteurs fortement régulés. C'est le cas notamment pour les industries de santé, ou les "utilities" (eau, services aux collectivités,...) pour lesquelles une structuration intelligente peut être source d'avantage concurrentiel au niveau mondial ;
       - l'appui international des intérêts nationaux, comme c'est le cas notamment pour l'Allemagne dans le domaine des normes techniques, favorisant les produits allemands de qualité ;
       - l'innovation  dans le secteur public, à l'exemple de l'appui des autorités américaines au développement des puces RFID ;
       - le développement au Japon des industries liées au vieillissement, notamment robotique, par un effort concerté entre le gouvernement (dans un rôle de stratége et de coordonnateur de grands projets) et les industriels

Ces outils peuvent avoir une puissance considérable, qui peut être utilisée pour le bien comme pour le mal : l'insuffisance de normes dans le domaine de la finance, initialement pensée pour favoriser le développement d'une industrie, représente sans doute l'erreur de politique industrielle la plus coûteuse de tous les temps. Il existe également des exemples en Europe, dans le secteur de l'énergie, de gouvernements qui ont poussé des normes inadaptées ou excessives dans le but de favoriser son industrie, mais aux détriments des consommateurs.

Ainsi cette "nouvelle voie" n'échappe pas, comme les précédentes, au risque d'abus. Comme pour les précédentes, leur efficacité repose avant tout sur l'intelligence, et le gout pour l'intérêt général de ceux qui les utilisent...

vendredi, août 13, 2010

Si un professeur est moins bien payé qu'un banquier, est-ce parce qu'il est moins utile ?

Une étude fort intéressante de Raj Chetty, economiste à Harvard a étudié la "valeur créée" par un bon professeur, par rapport à un professeur médiocre. La réponse : 320.000 $, ce qui correspond au gain de salaire auquel pourra prétendre l'étudiant qui aura eu la chance d'avoir un bon professeur. Soit nettement plus que l'éventuel bonus donné à un professeur exceptionnel dans tous les pays du monde

Cette étude rappelle un fait constant dans toutes les études étudiant le niveau de salaire : ce qui fixe le niveau des salaires est en général moins la valeur créée (celle du professeur est forte) que la capacité de celui qui crée cette valeur à s'en attribuer une partie. Ainsi Albert Einstein aura-t-il très nettement moins gagné au cours de sa vie qu'une grande partie des responsables d'activités de titrisation de produits financiers structurés "toxiques".

jeudi, août 12, 2010

P est-t-il égal à NP ?

Le 6 aout 2010, un chercheur Indien de 39 ans a apporté des éléments (une preuve de plus de 100 pages encore en cours de vérification, avec semble-t-il des doutes à ce stade) d'une démonstration de l'un des problèmes les plus importants des mathématiques algorithmiques : P <>NP - c'est à dire : existe-t-il des problèmes pour lesquels il est facile de vérifier si une solution convient, mais très difficile de trouver une solution.


Pour donner une image plus romantique : faut-il les mêmes capacités, et éventuellement un peu de méthode, pour apprécier une symphonie de Mozard ou "l'Etre et le Néant" et pour les écrire ?


P désigne les problèmes dont les solutions peuvent être systématiquement trouvées dans un temps "court" par rapport à la longueur du problème. Par exemple, trier les éléments d'une liste de taille N peut se faire en un temps inférieur à N^2 (il suffit par exemple de parcourir la liste pour chercher les plus petit, puis de parcours le reste de la liste pour cherche le 2e plus petit, etc...).

NP désigne les problèmes pour lesquels il n'existe pas de méthode systématique permettant de les résoudre en un temps "court" (il leur faut un temps exponentiel avec la taille du problème, c'est à dire qu'il devient très rapidement trop long à résoudre, même pour un ordinateur), alors qu'il est possible de vérifier si une solution est la bonne en un temps court. Par exemple, savoir dans quel ordre mettre des valises de tailles différentes pour remplir le plus possible le coffre d'une voiture est un problème difficile : à part essayer toutes les solutions, il n'existe pas de méthode simple assurant un succès rapide dans tous les cas. C'est compliqué  avec 10 valises, très difficile avec 100.000 valises.

Pour savoir si un problème est dans NP, il ne suffit pas d'avoir du mal à trouver une solution : par exemple, la résolution du Rubiks Cube est difficile pour beaucoup de personnes (alors qu'il est très simple de voir s'il a été résolu ou non), mais il existe pourtant des solutions simples et automatisables pour le résoudre. Les chercheurs qui se sont penché sur ces questions ont ainsi identifié un ensemble de problèmes "NP-complets", à la fois difficiles à résoudre, et tels que, si l'un d'entre eux était résolu (c'est à dire si une méthode simple et systématique de résolution était trouvée), alors une méthode simple pour chacun des problèmes "NP" pourrait en être déduite.

Si P n'est pas égal à NP, celà signifie qu'il existera des problèmes dont la solution est facile à vérifier mais pour lesquels personne ne trouvera jamais une solution simple pour les résoudre. Actuellement, on connait actuellement des tas de problèmes durs à résoudre, mais personne n'est sur - à moins que la démonstration de N = NP soit faite - qu'il existe une méthode simple pour leur trouver une solution. Par exemple : remplir un sac ou un coffre, trouver le parcours le plus court possibles passant par une liste de villes, Tétris, gérer des emplois du temps...

Actuellement, la majorité des scientifiques pense que P <> NP, reste à voir si la démonstration de Vinay Deolalikar tient (celà peut prendre du temps, comme ce fut le cas pour le théorème de Fermat, et nécessiter de compléter la preuve actuellement apportée)... Même dans l'hypothèse inverse il aura confirmé la puissance exceptionnelle de l'Inde dans le domaine informatique, et la force du modèle américain de "chasse aux talents"...

lundi, juillet 19, 2010

Feu les 15 % de rendement...

Au sommet de la bulle internet, dont nombreuses interrogations existaient sur le fameux "rendement de 15%" recherché par les investisseurs dans tout nouveau projet. Une étude très intéressante de McKinsey montre que cette quête du rendement impossible est la norme sur les marchés...

samedi, mai 15, 2010

Pourquoi être optimiste en mai 2010 ? Quatre bonnes raisons.

- La crise financière s'est accompagnée d'une baisse de l'euro de près de 20 % par rapport aux plus hauts. Cela représente un gain de compétitivité considérable - équivalent à un passage de 35 à 42 heures sans hausse de salaires, ou à une exonération de 50 % des cotisations patronales.

- L'accumulation de mauvaises nouvelles concernant les dettes bancaires ou celles des Etats marque surtout un coup de frein à des années de hausse : difficile pour un Etat ou une banque de continuer les excès du passé dans le contexte actuel. Or connaitre le nom de sa maladie, c'est déjà faire un premier pas vers la guérison...

 - Une crise est aussi une opportunité de changement ; « Soyez vous-même le changement du monde que vous voulez voir dans le monde » (Ghandi, cité dans "Survivre face aux crises", Jacques Attali). De nombreuses réussites (voir ici le témoignage de Steve Jobs) financières, économiques, politiques sont nées de crises, qui permettent à des nouveaux concepts ou des nouvelles personnalités d'émerger - comme l'a écrit Gramsci :  "La crise, c'est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître"

- Comme je l'expliquais dans un billet en 2008, la phase de "fin de cycle" que nous vivons actuellement marque aussi le début du suivant. Les ressources financières vont progressivement se réorienter vers des sources de valeurs plus "tangibles" que les montages financiers obscurs, les meilleures élèves vont recommencer à choisir la recherche ou l'industrie plutôt que l'ingéniérie financière sophistiquée, la "classe créative" mondiale va se refocaliser sur les façons de résoudre les grands problèmes qui frappent l'humanité, plutôt que sur la façon de contourner la régulation prudentielle bancaire.

samedi, mai 08, 2010

Chiffres astronomiques...

" There are 100.000.000.0000 stars in the galaxy. That used to be a huge number. But it's only a hundred billion. It's less than the national deficit! We used to call them astronomical numbers. Now we should call them economical numbers."
R. Feynman

dimanche, mai 02, 2010

Dette publique : perspectives inquiétantes de la BIS

La Banque pour les Réglements Internationaux (BIS) a publié en mars un papier très inquiétant.
Il estime en effet qu'en 2040, compte tenu des déficits actuels et de l'évolution des dépenses liées au viellissement, la dette de la France serait comprise entre 200 et 400 % du PIB.

Autrement dit, les seuils de soutenabilité de la dette publique que j'évoquais dans l'article des Echos seraient dépassés : seuil économique (au-delà duquel la dette pèse trop sur l'activité), financier (au-delà duquel la capacité de payement est entâchée, et les banques ne prêteront plus aux états) et politique (au-delà duquel les jeunes refusent de payer pour les dépenses de leurs aînés)...

vendredi, avril 09, 2010

Les trois limites de la dette publique

Les Echos publient ce matin un billet sur la dette, repris ci-après.

Le prochain livre de Jacques Attali "Tous ruinés" parlera dans plus de détails de cette épineuse question. Lecture recommandée !

Voir aussi Paul Krugman sur le même sujet, m si je ne partage pas la vision qu'il peut sembler défendre sur la nécessité d'avoir de l'inflation pour se débarrasser de la dette. Réduire sa dette par l'inflation revient à spolier les emprunteurs - certes plus "doucement" qu'en répudiant sa dette, mais avec des conséquences similaires sur le long terme (perte de crédibilité)... Les seules solutions vertueuses et efficaces pour atteindre un endettement raisonnable sont soit de ne jamais atteindre un niveau déraisonnable de dette, soit de réduire sa dette par des moyens "honnêtes" - c'est à dire en réduisant les déficits...


Les trois limites de la dette publique





Notre dette publique a atteint 1.489 milliards d’euros fin 2009, soit 17 points de plus que les 60 % du PIB des critères de Maastricht. « Quand les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limites », aurait dit Alphonse Allais. 

S’agissant de la dette, on peut cependant identifier encore trois limites devant nous :

  • la limite de l’efficacité, au-delà de laquelle la dette publique pèse sur la croissance ;
  • la limite de solvabilité, au-delà de laquelle un pays ne peut plus payer les intérêts de sa dette ;
  • la limite de soutenabilité, au-delà de laquelle la dette est jugée tellement injuste par les jeunes générations qu’elle entraîne une rupture du pacte social.

La limite d’efficacité est difficile à estimer

Certes, les pays qui ont le plus de dette ont le moins de croissance. Mais les raisons de ce lien peuvent être multiples : c’est le ralentissement de la croissance japonaise qui a entraîné l’augmentation de sadette publique, et non l’inverse. Il est clair qu’un fort besoin de financement public va réduire les financements disponibles pour le privé et réduire l’efficacité publique en rendant impossibles des dépenses d’avenir même très rentables. Mais ces effets sont difficilement quantifiables.

La limite de solvabilité dépend du niveau de la dette et des taux d’intérêt

Le Japon avec une dette de 200 % du PIB mais un taux de 1,5 % aura le même niveau de charges d’intérêt que la France avec 80 % de dette. Voila comment le Japon pourra soutenir, tant que ses taux restent bas, une dette plus élevée que la Grèce.
Pour la France, si on estime que le niveau de dette « insupportable » serait une ponction de 5 % à 10 % du PIB destinée à la dette, le « plafond » se situerait entre 125 % et 250 % du PIB. Ce plafond sera d’autant plus élevé que la dette sera soutenable, c’est-à-dire que les Français accepteront de payer les impôts destinés à payer les intérêts de la dette.

Une limite de soutenabilité incertaine

La limite de soutenabilité dépend quant à elle de « l’actif net public », c’est-à-dire de l’écart entre le niveau de la dette publique et la valeur des actifs publics dont une génération hérite des précédentes. La Cour des comptes estimait cet actif net à - 690 milliards fin 2008, et il a probablement dépassé - -800 milliards en 2009 pour une dette de 1.500 milliards. Autrement dit, plus de la moitié des intérêts de la dettepayés chaque année sont une ponction sans contrepartie en termes d’actifs.
A partir de quel niveau cette ponction serait-elle jugée injuste au point de représenter un danger pour la cohésion du pays ? Les dommages de guerre imposés à l’Allemagne par le traité de Versailles peuvent donner une référence : la crise allemande de l’entre-deux-guerres fut notamment liée au rejet par les contribuables de prélèvements jugés injustes. Or les montants annuels de réparations représentaient entre 4 % et 7 % du PIB, et notre dette devrait atteindre 140 % à actifs constants pour représenter ce niveau de ponction. Notons au passage que la question du rapport coût-bénéfice du service public représente un enjeu comparable : une sous-productivité de 10 % sur 50 % du PIB de dépenses publiquesinduit une ponction de 5 % ; pour la réduire, la lutte contre les déficits doit privilégier la réduction des coûts sur la hausse des impôts.

Des limites fondamentalement politiques

Ces estimations ignorent cependant les actifs immatériels, tels que la valeur de l’éducation des Français et des passifs tels que les retraites, qui représentent des milliers de milliards. A cet égard, la réforme des retraites constituera une étape cruciale pour assurer le maintien à long terme de l’équité intergénérationnelle. Il en va de même de la quête d’une plus grande performance de notre système éducatif et de recherche.
Au total, la dette nous pose un problème politique plus que financier : celui de l’équité entre les générations et de la façon dont nous veillons à ce que chacune d’entre elles ait à porter une dette qui ne soit pas disproportionnée par rapport aux retours dont elle bénéficie.
Cet article a été publié dans "Les échos" le 9 avril 2010


dimanche, avril 04, 2010

Qu'est-ce qu'un niveau de dette insupportable ???

Une dette publique élevée peut devenir "insupportable" pour au moins trois raisons :

A - un problème de soutenabilité économique, si son montant devient tel qu''il n'est plus possible d'acquitter les intérêts
B - un problème de soutenabilité politique, si montant est trop élevé par rapport aux actifs publics : dans ce dernier cas une génération recevant une dette forte et des actifs publics limités pourrait décider de cesser de payer une dette accumulée par les générations précédentes
C -un problème d'efficacité économique, le niveau de la dette pouvant freiner l'économie

A quels points situent les niveaux "insoutenables" sur chacun de ces trois critères ?

A -Le niveau soutenable économiquement dépendra surtout du montant des intérêts à payer, c'est à dire qu'il sera fonction du niveau de la dette, mais également du niveau des taux d'intérêt.

U pays qui aura 200 % de son PIB en dette avec des taux de 1,5% (cas du Japon) aura la même charge à payer qu'un pays qui aura 80% de son PIB en dette avec un taux de 4 % (cas de la France). Ceci explique comment le Japon peut soutenir sans problème une dette bien plus élevée (au moins tant que ses taux restent bas) que ne l'est, par exemple, celle de la Grèce.

Si on prend une hypothèse de taux de 4%, et si on estime que le niveau "insupportable" sera une ponction de 10 % du PIB uniquement destinée à la dette, le niveau de dette "plafond" se situe aux environs de 250 % du PIB. On en est encore loin...

Il est cependant difficile de définir quel est le niveau de ponction "insupportable" pour un pays.
Notons cependant que les dommages de guerre infligé à l'Allemagne dans les années 20, ne représentaient que 3 % du PIB (4 à 7 % selon d'autres études) - ce qui correspond à une dette de 80 % du PIB, c'est à dire le niveau français actuel...

B - Comme l'indique un billet précédent on peut calcul un "actif net public" (valeur des propriétés publiques - dette publique). Il est actuellement négatif. A quel niveau ce "passif" sera-t-il trop fort ?

Difficile à dire. Il faudrait en effet définir à quel niveau d'inéquité entre génération le contrat social peut se rompre. Et avant celà calculer un bilan plus fin que celui du billet précédent, en faisant différence entre :
  • le rendement "socio économique" des actifs publics (connaissances, bâtiments, oeuvres d'art) - c'est à dire estimer la valeur qui en est tirée (en additionnant les loyers économisés, la plaisir à regarder des tableau, le gain en salaire lié à l'éducation,...).
  • le coût de la dette (plus simple a calculer)
Ce bilan est difficile à calculer. En revanche, ce qui est plus simple à estimer est son évolution d'une année sur l'autre, par exemple durant 2009 :
  • la création nette d'actifs (ie, la valeur de ceux créés moins la valeur de ceux disparus) peut être considérée proche de zéro. Ainsi, des jeunes ont été formés, mais le nombre de personnes partant à la retraite étant désormais plus fort que celui de ceux qui finissent leurs études, le "capital humain" n'a pas progressé
  • l'augmentation de la dette a été bien réelle
Au total, le bilan s'est dégradé de 123 milliards, soit un cout annuel de 5 milliards (0,25 % du PIB) avec un taux d'intérêt à 4 %.

On peut, par ailleurs, estimer une "borne haute" pour le niveau non soutenable de la façon suivante :
  • supposons que le niveau actuel de dette représente un actif net égal au plus à zéro (en ajoutant au bilan négatif cité précédemment la valeur des actifs immatériels)
  • supposons qu'un niveau "inacceptable" d'inéquité est le cout de 3 % annuel infligé à l'Allemagne en 1920, et qui a constitué une cause importante de la crise social, monétaire et politique qui a conduit au nazisme

Dans ces conditions, le niveau de dette qui amènerait la France au bord du gouffre serait de 160 % du PIB : 80 % (niveau actuel) + 80 % (niveau correspondant à une ponction de 3 % par an sans contrepartie pour la génération qui la payerait).

C - Les effets négatifs de la dette sur l'économie peuvent être séparés en trois catégories :
i - des effets d'éviction (la dette publique consomme tous les financement disponibles et asphyxie le secteur privé)
ii - des effets dits "ricardiens" : les entreprises et les citoyens anticipent plus d'impôts ou moins de services demain, et réagissent à une hausse de la dette en réduisant leur consommation
iii - des effets d'incitation : la ponction réalisée chaque année pour payer les intérêts de la dette fait que les citoyens reçoivent moins en service que ce qu'ils ne contribuent en activité (une partie de leur activité est taxée pour payer les intérêts de la dette), ce qui réduit leur incitation augmenter leur activité

On peut estimer le seuil de rupture pour le point iii avec calculs comparables à ceux du point B. Il existe également quelques études sur les points i et ii (dont une, dont j'ai oublié la référence, du FMI ou de la banque mondiale), mais aucun ne permet de réaliser un chiffrage précis du niveau intolérable.

dimanche, mars 28, 2010

A qui apparient la dette ?




Est-il important de savoir à qui appartient la dette publique ?

La question agite de nombreux analystes. Il est vrai qu'avoir une dette publique majoritairement détenue à l'étranger peut poser des problèmes de souveraineté - un jour, l'Etat pourrait se trouver confronté à des pressions, et devoir accorder des concessions pour continuer à placer sa dette. C'est d'ailleurs déjà le cas, et pas nécessairement dans le mauvais sens : pour placer sa dette publique, la France est contrainte de démontrer un minimum de cohérence dans la gestion de ses déficits...

Faut-il s'inquiéter de voir notre dette publique détenue par des créanciers étrangers ? Si on entre dans cette logique, il faut aussi regarder à qui appartiennent nos actions, les usines qui font nos produits ou le pétrole de nos voitures... Autant facteurs de dépendance vis-à-vis d'autres pays. La science économique est d'ailleurs largement sur l'idée que les inconvénients d'une dépendance mutuelle sont inférieurs à ses bénéfices, même une fois pris en compte les coûts de transaction.

Si on remet cette idée en cause il faut le faire globalement. Et il est probable que l'on constate alors que la dépendance extérieure s'agissant du pétrole pose de problèmes que la dette : en effet, un Etat peut toujours lever dette publique en mobilisant l'épargne de ses concitoyens ou même répudier sa dette. Il est difficile d'en faire de même pour la consommation pétrolière !

dimanche, mars 21, 2010

Dette publique, croissance et relance

La dette publique française dépassera 86 % du PIB fin 2010 selon les estimations du gouvernement. Est-ce grave ?

Notons d'abord qu'une dette (c'est à dire l'argent dû par un Etat) ne pose de difficulté que si elle est supérieure aux actifs (c'est à dire l'argent qui peut être obtenu par ce même Etat). Autrement dit la question est moins celle du niveau de la dette que du niveau de "l'actif net public" (valeur des propriétés publiques - dette publique). Et malheureusement ce bilan est négatif


Source : Cour des Comptes

On peut évidement discuter de la méthodologie retenue (certains actifs tels que l'Arc de Triomphe ne sont probablement pas enregistrés à leur valeur de marché, c'est à dire la valeur qui pourrait être obtenue en les vendant aux enchères). On pourrait également noter que ce tableau ne comptabilise pas les actifs "immatériels" (c'est à dire, par exemple, la valeur de marché des connaissances scientifiques du pays).

C'est vrai, mais une chose est sure : en évolution, la croissance forte de la dette publique des années récente n'a eu aucune contrepartie en terme d'accélération des créations d'actifs, matériels ou immatériels.

Si l'on reprend les estimation de la Cour des Comptes, en supposant que la valeur des actifs n'a progressé que de l'inflation de 2008 à 2009, le bilan de la France s'est dégradé de plus de 100 milliards en 2009


Avec un taux d'intérêt moyen de 4 %, ces 123 milliards représentent une ponction stérile d'envrion 5 millards d'euros par an. Et c'est là que réside le premier problème économique de la dette : cette "ponction stérile" va peser sur l'activité car une partie de l'effort de la nation ne donnera aucun retour à ceux qui le réalisent mais sera ponctionné.

Notons cependant que la dette n'est pas le seul élément à pouvoir réaliser des "ponctions stériles" : après la seconde guerre mondiale, les ponctions à l'Allemagne (et dénoncées à l'époque par Keynes) au titre de la réparation des dommages de guerre ont eu un effet similaire. De la même façon, un état mal géré réalisera une ponction égale au montant de ses gaspillages.

Notons d'ailleurs que c'est probablement là que réside la principale "ponction stérile" dans la plupart des pays développés comme le montre un simple calcul d'ordres de grandeur pour la France :
  • avoir 30 % du PIB en actifs pour 80 % de dette réalise une "ponction stérile" de (80-30)x taux de 4 % = 2 % du PIB
  • les dommages de guerre payés par l'Allemagne ont représenté une ponction d'environ 3 % du PIB à l'époque

  • avoir 50 % du PIB en dépenses publiques et 10 % d'inefficacités réalise une "ponction stérile" de 50 % x 10 % = 5 % du PIB
Le 10 % d'inefficacités n'est pas pris au hasard : ainsi, les programmes de réduction des coûts d'achat dans le public permettent d'obtenir des gains de l'ordre de 20 %. Ce taux ne signifie pas qu'une partie des fonctionnaires ne font rien, mais plutôt que d'autres facteurs vont créer des conditions peu favorables à l'efficacité de leur action :
  • problèmes d'organisation (empilement de structure, manque de rigueur dans la clarification des rôles et responsabilités,...)
  • problèmes de cohérence dans le temps et l'espace des orientations fixées à leur action
  • déficit d'évaluation et de chiffrage préalable des programmes electoraux, lois et réglements
  • appui politique variable donné à l'efficacité de leur action par rapport à d'autres considérations

Un dernier effet négatif de la dette est indirect : une dette élevée va induire un risque élevé de "deleveraging", c'est à dire de réduction des dépenses ou des investissements afin de permettre une réduction de la dette. Or autant les phases d'augmentation de la dette accélèrent la croissance (les gens, les entreprises ou les états consomment plus qu'ils ne gagnent), autant les phases de réduction de la dette vont ralentir la croissance. Faire des économies pour réduire la dette est une bonne chose, mais le faire sans précautions pèsera sur la croissance : la vertu est bien mal récompensée à court terme !

A cet égard, le McKinsey Global Institute a publié une étude intéressante, qui quantifie ces effets par grands acteurs (ménages, entreprises, états) et par pays.