vendredi, juillet 25, 2008

De l'importance des prélèvements non obligatoires dans la compétitivité

KPMG vient de rendre publique sa traditionnelle étude sur la compétitivité. Cette étude compare le coût total d'implantation d'entreprises dans différents pays (2000 cas d'entreprises, 17 secteurs d'activité). Elle intégre la plupart des facteurs quantitatifs (salaires, impôts, coût des infrastructures et des télécommunications,...) pris en compte dans les choix de (dé)localisation d'entreprises.


La France en ressort en première place du classement européen, avec un désavantage de coût de seulement 3 à 4 % par rapport aux Etats-Unis (et ce malgré la hausse récente de 60 % de l'euro face au dollar).


Sans entrer dans le détail de cette étude, on peut noter l'intéressant comparatif des coûts salariaux moyens :


(cliquer sur le graphique pour l'agrandir)

Il en ressort en effet que si les prélèvements obligatoires sur les salaires sont les plus élevés en France, les prélèvements "non obligatoires" (mutuelle complémentaire prise en charge par l'employeur, retraite complémentaire,...) compensent largement cet état de fait - en plus du niveau moyen des salaires, plus modéré en France qu'ailleurs. Ce qui traduit sans doute en partie le fait que les salariés bénéficient en France gratuitement d'assurance sociales ou de prestations en matière de santé, d'éducation ou de famille qu'ils doivent financer sur leur salaire ailleurs...

jeudi, juillet 24, 2008

Physique des mouvements de foule

Quel point commun entre un tremblement de terre, la cassure d'une plaque, un crash boursier, une révolution ou la montée dans l'opinion d'une personnalité politique ? Selon Didier Sornette et alii, ces phénomène ont en commun un changement rapide de régime dans un système auto-organisé (c'est à dire des systèmes composés d'un grand nombre de systèmes ayant leurs règles propres, par exemple une foule composée d'individus ou un marché financier composé d'acheteurs et de vendeurs).

L'analyse de Sornette permet d'expliquer des phénomènes sociaux tels que :

- le fait que les "ruptures" sont moins détectables lorsqu'elles concernent un ensemble homogène (les militants d'un parti) que lorsqu'elles portent sur un ensemble plus hétérogène (une nation). Ainsi, la percée d'OBama au sein de son parti a-t-elle été fulgurante, et pour beaucoup imprévisible. Là où certains ont pu voir dans cette ascension rapide le fruit d'une "bulle", on peut y voir tout simplement la "crystallisation" rapide d'un succès mérité...

- le fait que, dans des milieux hétérogènes, ces ruptures sont généralement précédées de "fissures" ou de "craquements" dont la fréquence d'apparition peut permettre de prévoir un "rupture" plus forte. Pour Sornette, ces "craquements" traduisent une mise en cohérence d'une partie croissante des "micro systèmes". De la même façon, un crash boursier correspond au moment où un part importante des acteurs partage la même opinion sur la sur-valorisation (par rapport à leur prix) d'un certain nombre d'actions - ces acteurs étant organisés en "grappes" (les traders parlent entre eux, les boursicoteurs aussi,...) ;

- ces "craquements" peuvent être causés par des évènements extérieurs sans rapport avec la source réelle de ce "craquement". Par exemple, un crash boursier de grande ampleur peut se déclencher à la suite d'une nouvelle en apparence de peu d'importance. Pour cette raison, un système soumis à une forte tension (par exemple, une organisation soumise à des règles incohérentes) est ingouvernable, car toute décision, même si ses conséquences sont positives et même si elle est sans rapport avec les problèmes de fond de l'organisation, peut créer une fracture. Pour prendre un exemple ancien, le rejet de la réforme proposée par De Gaulle sur les régions peut entrer dans cette catégorie (mais il y en a de plus récent...).

Cette analyse rejoint une approche moins scientifique (mais à plus grand succès littéraire), celle de Malcom Gladwell.

samedi, juillet 12, 2008

Comment créer la cohésion sociale ? Les critères de Fukuyama

Dans "Le grand bouleversement", le philosophe politique Francis Fukuyama a étudié les critères qui font le niveau de cohésion d'une société ou d'un groupe de personnes.

Selon Fukuyama, les groupes les plus favorables à l’existence d’un lien social fort vérifient les critères suivants :

- la taille du groupe : plus il est large, plus il est difficile aux membres du groupe de se coordonner. Le risque de « passagers clandestins », ceux qui cherchent à profiter des bienfaits de l’action collective tout en évitant d’y contribuer, est plus probable dans une collectivité de taille importante où chacun peut se dissimuler derrière l'anonymat, que dans un groupe restreint où chacun se connaît et peut surveiller.

- l'existence d'une frontière claire entre ceux qui font partie du groupe, et ceux qui n'en sont pas : il est difficile de développer ou de maintenir une forte cohésion dans un groupe dont le périmètre est imprécis (qui empêche de savoir qui fait partie du groupe ou de pouvoir contrôler qui entre et qui sort) ou mouvant.

- la fréquence des relations entre membres du groupe : un groupe dans lequel les acteurs ont des relations nombreuses et répétées (et donc une « réputation à conserver » pour les relations à venir) se prête davantage à une forte cohésion qu’un groupe dans lequel les acteurs se rencontrent de façon plus épisodique.

- l’existence de normes communes favorisant une culture commune : cette culture commune crée un langage commun, des règles communes et facilite la compréhension et la coordination au sein du groupe. Les éventuels conflits peuvent se résoudre plus facilement dans un groupe dont les membres partagent la même culture ou les même valeurs, que dans un groupe comportant plusieurs « classes » de culture ou d’objectifs différents.

- le niveau de justice et l’équilibre des rapports de force : il est difficile d'attendre une forte cohésion d'un groupe dans lequel le pouvoir est réparti de façon inégale ou fondé sur des règles inéquitables.

- le niveau de transparence : une transparence aussi forte que possible est préférable dans la mesure où elle permettra d'identifier rapidement les comportements individuels ou collectifs "anti sociaux".

Une liste qui vaut bien des manuels de management ou de science politique...

Le 21e siécle sera institutionnel et moral, ou ne sera pas !

Tout le monde, ou presque, s'accorde à penser qu'une économie harmonieuse suppose un bon équilibre entre deux objectifs contradictoires. D'une part, la prospérité économique (disons, le niveau du PIB même s'il s'agit d'une mesure perfectible). D'autre part, l'équilibre social (plus difficile à définir, qui contient à la fois les conditions de vie les plus pauvres, l'égalité des chances, le fait que les inégalités de conditions de vie ne soient pas disproportionnées par rapport aux efforts de chacun, le niveau de confiance que chacun peut avoir dans ses concitoyens, ou ...).

Une autre façon de dire les choses consiste à dire que l'argent ne fait pas le bonheur, et qu'une nation florissante doit permettre à ses concitoyens d'avoir de l'argent, mais aussi autre chose. Mais comment parvenir à cet équilibre ?

Une première école de pensée suppose que les deux peuvent être séparés : au secteur privé de fournir la prospérité économique, l'Etat et le secteur non lucratif (groupes religieux, famille, relations de voisinages...) de fournir le reste. Ils notent par ailleurs qu'en raison de la concurrence (entre entreprises d'un même pays, ou entre entreprises nationales plus "sociales" et entreprises étrangères moins soucieuses du bien-être social du pays qui achète leurs produits), il serait difficile pour les entreprises d'être trop sociales, le consommateur choisissant généralement la moins chère, et les actionnaires (ou les futurs retraités pour leur retraite par capitalisation) choisiront d'investir dans les entreprises les plus rentables.

Une deuxième école note considère qu'économie et société sont indissociables, ce qui impose notamment que les entreprises devant faire preuve de responsabilité sociale. Elle notent que les consommateurs sont capables de "faire la différence" s'ils sont correctement informés sur les conséquences sociales de leurs achats.

Comme toujours, la réalité si situe entre les deux :
- il est vrai que la concurrence pose des limites en matière sociale, mais ces limites dépendent du secteur (une partie du secteur des services est contraint à une concurrence très locale) et des réglementations (la fiscalité, les cotisations sociales ou les normes peuvent être différents d'un pays à l'autre) ;
- il est vrai que les produits équitables ou les investissements éthiques connaissent un certain succès, mais il reste très limité en ampleur : le chiffre d'affaires mondial du commerce équitable est d'un milliard d'euros, soit moins de 0,1 % de la production nationale française.

Une façon de réconcilier les deux modèles consiste à traiter les objectifs du second modèle avec les outils du premier. Concrètement, il s'agit d'identifier les "nuisances sociales", de leur donner un prix et de le faire payer à ceux qui les génèrent :
- assurance chômage à bonus/malus pour faire payer le "prix de la précarité". Pour être juste un tel dispositif nécessite une certaine sophistication, notamment pour ne pas pénaliser les entreprises qui recrutent des chômeurs "difficiles" (et donc avec plus de chances d'échec) par rapport à celles qui refusent les demandeurs d'emploi les plus en difficulté ;
- taxe à l'importation compensatrice des avantages sociaux indus. Une telle taxe est probablement très difficile à mettre en pratique, notamment parce qu'elle impose de définir l'avantage indus, produit par produit - avec le risque de pressions protectionnistes. Une variante de ce type de taxe est le projet de taxe sur le "carbone importé", qui vise à corriger l'avantage comparatif dont disposent les usines situées dans des pays qui n'appliquent pas le protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre sur les entreprises qui sont soumises à des contraintes (comme les entreprises européennes) ;
- droit social très ferme en matière de lutte contre les discriminations et le harcèlement ;

On notera qu'il subsiste un certain nombre de domaines dans lesquels il est difficile d'introduire ce type de corrections. Par exemple, il serait difficile de construire une taxe sur le stress au travail (difficile à mesurer) - sans parler du malheur au travail ! Tout au plus peut-on organiser une plus grande transparence sur le taux de mobilité (un taux élevé est généralement le symptôme d'une entreprise où il ne fait pas bon vivre, qui devra payer plus cher pour attirer des salariés). Dans une société, c'est généralement le rôle des règles morales de contrôler ce genre de comportements (en éduquant les citoyens pour être sensible au malheur d'autrui, et en faisant en sorte que ceux qui n'y sont pas sensibles soit stigmatisés et aient intérêt à "rentrer dans le rang").

De la même façon, le niveau de cohésion sociale et de confiance d'un pays dépend de nombreuses causes qu'il est difficile d'identifier et auxquelles il est difficile de donner un prix. Il est également lié (j'y reviendrais dans un autre article) à la force et à la nature des régles morales.

Ces derniers points dépendent davantage d'un projet politique, et du rôle des institutions morales, c'est à dire des entités qui organisent et régulent la morale et sanctionnent les comportement "immoraux" : famille, groupes religieux ou associations philosophiques mais également en partie l'Etat, ou les collectivités.

Compte tenu de la montée de la demande d'une société moins individualiste (notamment chez les jeunes), on pourrait déclarer en paraphrasant Malraux "Le XXIe siécle sera celui des institutions morales, ou ne sera pas !".