jeudi, janvier 31, 2008

Quelques réflexions sur les organisations complexes

L'un des meilleurs livres de management pour certains, The Logic of Failure réussit à expliquer la logique de fonctionnement des grosses organisations.

En le lisant, on comprend bien pourquoi un certain style relationnel (peu d'émotions, grande prudence, grande rigueur...) est souvent le plus adapté au fonctionnement dans les grandes organisations. Pourquoi ? Simplement parce que tout mouvement peut être amplifié 10, 100, 1000 fois par le jeu de la circulation de l'information. Dès lors, le style le plus adapté est celui dans lequel les inflexions données par le chefs sont progressives, peu nombreuses et lisibles. Et effectivement, ce style est dominant (et souvent le mieux adapté) dans les structures matures. On le retrouve chez les "généraux en temps de paix" - comptent davantage les qualités nécessaires au maintien de l'harmonie interne que celle utiles pour remporter une bataille ou imaginer des scenarios improbables.

On pourrait poursuivre en notant qu'en cas de situations extrêmes (retournement, crise majeure,...) d'autres profils émergent - beaucoup moins lisses, et même quelquesfois un peu extravagants. Ce sont des "généraux de temps de guerre". En effet, dans ces situations c'est moins le maintien de l'harmonie qui compte, qu'au contraire le fait de sortir l'organisation de ses habitudes et de son harmonie, d'identifier la "nouvelle harmonie" et d'y entraîner l'organisation. Ainsi dans sa biographie, Jack Welsh explique-t-il qu'il a failli être évincé de la course à la présidence de General Electric, précisément parce qu'il n'était pas consensuel.

samedi, janvier 26, 2008

Pertes de la Société Générale : quelques réponses

Que s'est-il passé exactement ?

Les Echos publient une note d'explication de la Société Générale qui décrit les faits et kleur enchainement.

Comment une personne isolée a-t-elle pu jouer en bourse un montant peut-être supérieur (certains parlent de 40 mds) à la valeur de la SG ?

Cette opération n'entre évidemment pas dans le cadre d'un fonctionnement normal, et n'a pu intervenir que grâce à des falsifications dans le système de suivi et de limitation des risques. Schématiquement, une banque peut faire des "paris" énormes, dès lors que ces "paris" sont compensés par des paris inverses - de telle sorte que si la banque perd d'un coté, elle gagne de l'autre. Le système de contrôle des risques d'une banque est conçu pour s'assurer de ceci. Le problème à la SG semble avoir été que le trader aurait introduit dans le système de "faux paris" qui donnaient (à tort) l'impression que les positions qu'il prenait sur le marché étaient compensées. Ce qui n'était pas le cas.

Reste que la justice devra préciser les responsabilités du trader, de sa hiérarchie au vu des éléments qui figureront dans le dossier (les contrôles internes étaient-ils assez solides ? les procédures en matière de séparation des activités de trading et de contrôle ou de modification des autorisations d'accès des salariés chargés du contrôle lorsqu'ils rejoignent le trading (ce qui a été le cas de la personne concernée) assez robustes ? A ce stade le "trader isolé" bénéfice de la présomption d'innocence...

Est-il normal qu'un jeune de 31 ans puisse jouer avec des milliards ?

Dans le cas de la SG, il semble que le montant des positions traitées par le trader soient liées à des falsifications comptables. Mais d'une façon plus générale, l'industrie de la finance, qui vise à faciliter l'intermédiation entre ceux qui ont de l'argent à placer, et ceux qui en ont besoin, suppose de faire passer, d'une façon ou d'une autre, beaucoup d'argent par peu de personnes.

Les clients de la société générale sont-ils menacés ?

Non : la perte sera imputée aux actionnaires (essentiellement via une forte réduction des bénéfices, qui se traduira sur le prix de l'action). La banque ayant reconstitué ses fonds propres en faisant appel au marché, la solidité de la banque n'est pas menacée (et d'ailleurs, si elle l'était, il existe en France un système de garantie des dépôts qui protégent l'épargne des clients jusqu'à un plafond de 70.000 euros par personne).

La banque aurait-elle du prendre plus de temps pour solder le problème ?

Certains ont plaidé cette idée. J'ai des doutes dans la mesure où la fraude a certainement eu pour conséquence de porter l'exposition au risque de la Société Générale au-delà de ce qui lui était possible : dès lors, la seule possibilité était de négocier avec le régulateur un délai de retour à la normale, qui ne pouvait certainement pas s'éterniser. Que ce retour rapide à la normale coûte à la banque n'est pas le soucis du régulateur, dès lors que ce coût ne remet pas en cause la pérennité de la banque : raisonner autrement reviendrait à accepter qu'une banque mette en risque sa solvabilité (et il y a des façon profitables de le faire) en sachant qu'elle pourra toujours négocier une façon "peu coûteuse" de revenir à la normale.

samedi, janvier 05, 2008

L'ordinateur a 66 euros

L'ordinateur à 66 euros (100 dollars) est un projet intéressant, qui visait à produire en masse un ordinateur portable peu coûteux et adapté aux pays en voie de développement - en quelques sortes la "logan du PC". Il s'agissait en même temps d'appliquer la logique du "logiciel libre" à la production industrielle d'ordinateurs.*

Si l'on en croit The Economist, il semblerait que cette tentative tourne court. Notons quand même que l'intiative OLPC aura certainement stimulé la concurrence, mettant sur le marché des modèles d'ordinateurs portables à un peu plus de 250 euros (l'ASUS eee), prix américain.

Celà dit, d'autres commentateurs donnent une vision plus favorable du projet. A suivre...

Juger l'action publique aux résultats ?

On a vu çà et là des débats suite à l'annonce de la mise en place de "tableaux de bord ministériels", précisant les objectifs fixés à chaque ministère.

Notons d'abord que cette proposition est entièrement cohérente avec le politique "de résultats" (revendiquée d'ailleurs à gauche comme à droite), présentée lors de la campagne, qui a sans doute eu un effet significatif sur le résultat des élections.

De quoi s'agit-il ? De mettre en place un système de suivi, certainement pas un système scolaire visant à donner des bons et des mauvais point, mais plutot un "systeme de suivi de la performance" permettant de voir ce qui va, ce qui ne va pas, et de poser des questions quand les objectifs ne sont pas atteints : les moyens sont-ils insuffisants ? Les objectifs doivent ils être adaptés à la conjoncture ? La méthode de mise en oeuvre est-elle à revoir ? Une expertise extérieur doit-elle être utilisée ?

Sur ce sujet il faut éviter les débats trop théoriques, et raisonner de façon pragmatique.

Historiquement, les politiques étaient-ils plus jugés sur les annonces que les résultats ? Reponse, oui.

Est-ce un problème qui mérite d'être changé ? Reponse, oui. La crédibilité des politiques, mais surtout la qualité du service public en dépendent.

Les mesures prises vont-elles dans le bon sens ? Reponse, oui :
- les programmes présidentiels ont été chiffrés (chiffrage qui présente sans doutes des limites, compte tout référentiel comptable, mais qui reste préférable à l'absence de chiffrage)
- les ministres vont être davantage impliqués sur leurs lois de reglement (ie, défendre leurs resultats au regard des critères fixés par la "LOLF", qui associe désormais au montant des crédits accordés par le parlement des indicateurs de résultats)
- ils disposent d'une feuille de route (les lettres du président de la République et du Premier Ministre aux différents ministres)
- la mise en oeuvre de leurs politiques sera jugée sur la base d'objectifs précis, ce qui n'exclut évidemment pas un regard plus large, qui ne manqueront pas de porter les différents contre-pouvoirs (presse, opposition dont les pouvoir sont renforcés notamment à la commission des finances de l'assemblée nationale, Cour des Comptes,...) pour éviter de sombrer dans une "politique du chiffre". Et ce qui ne préjuge pas des solutions à apporter quand les objectifs ne sont pas atteint - cellule de crise, renforcement des moyen, changement de méthode, réappréciation des objectifs...

Est-ce un "déni de démocratie" substituant à la sanction du vote un contrôle "technocratique" ? Certainement pas : les électeurs resteront les seuls juges. Simplement, fait nouveau, ils disposeront d'éléments plus précis pour constituer leur jugemeent : qui peut regretter qu'on lui donne une information supplémentaire ?

Le systeme peut-il etre amelioré en théorie ? Reponse : forcément oui mais il vaut mieux avoir des améliorations réelles tout de suite, qu'une systeme théoriquement parfait, mais jamais : ce qui marche n'est en general pas d'une complexité folle (les systemes de productions à flux tendus de l'automobile tournent en grande partie sur des cartes en carton et des caisses en bois, les systemes informatiques complexes ayant montre leur inadaptation).

Risque-t-on un jour d'avoir le probleme inverse de la situation actuelle (ie, un systeme public trop focalisé sur le résultat chiffré) ? C'est difficile à dire. Mais actuellement le probleme est plutot l'excès inverse !

Reste une question : pourquoi ce débat ? Il marque sans doute les tensions liées au passage d'un monde à un autre : celui où la politique consiste à faire des annonces, et où les contrepouvoir les critiquent, à un monde où la politique consiste à fixer, puis à remplir des objectifs, et où les contrepouvoirs doivent les contre-expertiser. A cet égard, il est amusant de constater davantage de critiques des seconds que des premiers, un peu comme si la remise en cause de leur propre rôle leur posait des difficultés...

Sur ce sujet, je vous invite à lire le très intéressant livre de Michael Barber : Instruction to Deliver