samedi, mars 16, 2013

Healthcare productivity is better than you think


Published in French in Les Echos, 03/04/2013

A Mozart string quartet takes just as long to play in 2012 as it did in the 18th century. That is why the price of live performances has not gone down, unlike the price of most products that have experienced an increase in productivity. This is what economist William Baumol calls the “cost disease.” This disease concerns services based essentially on professionals’ time and skills – in the case of healthcare, doctors, caregivers and healthcare workers in general.

                And yet, significant progress has been made in the field of cancer treatments. Development of surgical techniques leads to less invasive operations and fewer complications. Digital imagery, combined with specific markers, makes for greater certainty in diagnoses and more targeted procedures. The digital revolution in medicine enhances both the quality and productivity of healthcare. It transforms medical techniques (digital or robotic imagery), patient care (data analysis to better target procedures and reduce costs) and access to treatment (sharing medical images through networks, thus reducing test duplications and the exodus of doctors from certain regions). Unfortunately, this progress is not always visible: when a factory worker increases his output by 50% in return for a 20% raise, statistics show increased productivity. If the healthcare system reduces the mortality rate of cancer by 50% thanks to a 5% increase in costs, statistics only show the cost increase. Healthcare is not in the grip of a “cost disease;” it is suffering from an imperfect assessment of its value! To solve this problem, we need better to improve the way we measure both the value of healthcare procedures and the quality and rapidity of treatments at the national level, and the way we benchmark this value at the European level. Of course, healthcare cannot be reduced to mere statistics, but it deserves more than the sole costs numbers.

Furthermore, our country has undeniable industrial strengths: world-renowned practitioners, cutting-edge research facilities such as the Gustave Roussy Institute, Inria and the Atomic Energy and Alternative Energies Commission, innovative start-ups such as Medtech (a robotic surgery specialist) and world-class production sites and centers of expertise, such as General Electric’s mammogram equipment production site in Buc. However, we are not the only ones who want to develop this sector. There is little chance of France winning this worldwide competition without a truly industrial healthcare strategy.

                This is particularly true in the field of digital healthcare, where we need a strategy to develop not only infrastructure, but contents and uses as well. Regarding infrastructure, the problem has less to do with “technical” layers (networks or hosting solutions) than these layers’ interaction with equipment of diverse origins, not to mention change management to bring hospital professionals on board. When it comes to content and use, France rolls out four times fewer digital imagery systems than Denmark. We are closing the gap thanks to regional “cloud” projects, but it is essential to continue guiding and encouraging these projects at the national level.

                Rather than “cost disease,” our healthcare industry is suffering from a two-fold vision problem: it is both far-sighted, as it has trouble seeing its own advantages close-up, and short-sighted, as it is unable to make out a long-term industrial strategy that would help develop its strengths.

lundi, mars 04, 2013

Le système de santé est-il victime de la malédiction des coûts, ou d'une insuffisance d'évaluation ?


Il faut en 2012 autant de temps qu'au XVIIIe siècle pour exécuter un quatuor à cordes de Mozart. Et c'est pourquoi le prix des spectacles vivants ne baisse pas par rapport à celui de la plupart des produits qui connaissent des gains de productivité - ce que l'économiste William Baumol appelle la « malédiction des coûts ». Cette malédiction concerne les services qui reposent surtout sur le temps et le talent de professionnels - dans le cas de la santé, médecins, soignants et l'ensemble des personnels.

Pourtant, des avancées significatives ont été réalisées dans le traitement du cancer. Le développement des techniques chirurgicales permet des opérations moins invasives et avec moins de complications. L'imagerie numérique, combinée à des marqueurs spécifiques, permet de rendre les diagnostics plus sûrs et de mieux cibler les interventions. La révolution numérique médicale améliore autant la qualité que la productivité des soins. Elle bouleverse les techniques médicales (imagerie numérique ou robotique), le suivi des patients (l'analyse des données permettant de mieux cibler le suivi et d'en réduire les coûts) ou l'accès aux soins (le partage d'images médicales en réseau réduisant les doubles examens tout en offrant des solutions aux problèmes de désertification médicale).

Ces progrès sont malheureusement peu visibles : quand un ouvrier produit deux fois plus pour un salaire en hausse de 20 %, les statistiques enregistrent une hausse de la productivité. Si le système de santé réduit de 50 % la mortalité d'un cancer pour 5 % de coûts en plus, les statistiques n'enregistrent que la hausse des coûts. Plutôt que d'une malédiction des coûts, c'est de l'insuffisance de l'évaluation qu'est victime le système de santé ! Pour y remédier, il est nécessaire d'améliorer la mesure de la valeur apportée par les soins et la qualité ou la rapidité de prise en charge au niveau national, voire au niveau européen. Non que la santé puisse se réduire à des statistiques, mais parce qu'elle mérite mieux que le seul pilotage par les coûts.

Par ailleurs, notre pays dispose d'atouts industriels certains : des praticiens renommés mondialement, des établissements de recherche de pointe comme l'Institut Gustave Roussy, l'Inria ou le CEA, des start-up innovantes comme Medtech (spécialiste du robot chirurgical) ou des centres d'expertise et de production de classe mondiale, tels que ceux de General Electric à Buc pour la mammographie. Cependant, nous ne sommes pas seuls à vouloir développer ce secteur. Il est donc peu probable que la France gagne cette concurrence mondiale sans une véritable stratégie industrielle de santé.

C'est particulièrement vrai dans le domaine de la santé numérique, où nous avons besoin d'une stratégie développant à la fois les infrastructures, les contenus et les usages. S'agissant des infrastructures, le problème se situe moins au niveau des couches « techniques » (réseaux ou solutions d'hébergement) qu'au niveau de leur articulation avec des équipements de toutes origines et, surtout, de la conduite du changement assurant une adhésion des professionnels. S'agissant des contenus et des usages, le déploiement de dispositifs d'imagerie numérique est en France le quart de ce qu'il est au Danemark. Ce retard est en train d'être rattrapé grâce aux projets de « clouds » régionaux, mais le niveau national doit continuer à encourager et accompagner ces projets.

Plutôt que d'une malédiction des coûts, notre santé est donc davantage victime d'un double problème de vue : à la fois hypermétrope, car elle voit difficilement de près ses propres bénéfices, et myope avec des difficultés à voir au loin une stratégie industrielle permettant d'en développer les atouts.

Paru dans Les Echos le 4 mars 2013