jeudi, septembre 17, 2009

Suicides chez France Telecom : est-ce mieux ailleurs ?


(rédaction en cours, version provisoire)

Les suicides chez France Telecom, un signe de la faiblesse des ses salariés selon les termes de Christophe Barbier ?

Je pense sincèrement que le problème est ailleurs, et renvoie à un problème que j'ai déjà eu l'occasion de commenter : la contradiction entre une France qui s'est plongée dans la concurrence (ouverture des marchés au niveau européen et mondial, ouvertures à la concurrence de secteur monopolistiques,...) et son système social, qui est relativement généreux relativement à la moyenne des pays développés, mais dont la générosité est focalisée sur la défense des statuts, plutôt que sur l'accompagner les transitions.

Car notre système social, même s'il est en train d'évoluer, est largement marqué par la compensation du statut passé (allocation en % du dernier salaire, recherche d'emploi plus centrée sur la qualification actuelle que sur celle qu'il serait utile de développer pour l'avenir, absence de système d'orientation digne de ce nom, formation gérée par branche ce qui signifie que les gros secteurs du passé ont l'essentiel des moyens et les secteurs naissants aucun) plutôt que sur la préparation des transitions utiles (bilan de compétence, formation, orientation, création d'entreprise, anticipation des mutations,...). La fonction publique n'est pas en reste, la place des corps marquant un système où le statut s'acquiert pour la vie à 25 ans par des capacités scolaires.

Or la concurrence produit son efficacité précisément en réduisant les rentes, et donc en bousculant les statuts. Elle créera un stress qu'il est nécessaire de reconnaitre et d'accompagner - ce que John Hicks résumait dans la formule "The best of all monopoly profits is a quiet life" (ce qui veut aussi dire que le plus gros inconvénient de la concurrence est une vie stressante). Et ceux qui en souffriront le plus seront ceux qui, partant d'une situation de statut (c'est le cas dans les ex-monopoles) sont confrontés à la nécessité de gérer une transition professionnelle (changer de poste, de métier ou d'entreprise) sans disposer du "capital social" - notamment des amis ou une formation qui permet de "rebondir" - ni être accompagné (pole emploi n'aide pas, ou peu, les personnes ayant un emploi menacé, inutile, ou qui place son titulaire dans une position de stress insupportable). Et cela n'a rien à voir avec une supposée faiblesse de l'agent public : elle concerne certains agents de France Telecom, mais également une ouvrière du textile de 50 ans dans le nord de la France, un viticulteur du beaujolais menacé par la concurrence des vins étrangers ou un jeune étudiant en journalisme confronté aux effets sur l'emploi dans son métier de la vague internet.

Dans ces conditions, on peut imaginer trois "mondes" possibles : un monde de castes, de statuts et de faible performance économique (ce qui se traduit aussi par une moindre qualité du système de santé, un plus grande pauvreté,...) mais également d'injustices "larvées" (impossibilité pour un jeune brillant de faire une carrière s'il n'est pas du bon statut ou du bon "corps", réussite professionnelle plus liée à qui ont connait qu'à ce que l'on sait faire, capitalisme de connivence...).

Un deuxième état du "monde" possible, et c'est la situation actuelle en France, cumule l'ouverture à la concurrence et l'absence de système d'accompagnement suffisamment large (touchant les personnes ayant perdu leur emploi, mais aussi celles qui n'en ont pas encore, les jeunes en formation et ceux qui sont dans un emploi dont ils veulent sortir). Il présente les avantages de la concurrence pour les plus mobiles (personnes éduquées ou de "bonne familles", capables de tirer les bénéfices de la mondialisation en en évitant les risques, ou qui disposent au sein de leur "réseau" des leviers pour anticiper et accompagner leurs transitions professionnelles) et ses inconvénients pour ceux qui le sont moins (personne moins éduquées ou spécialisées dans un métier fortement soumis à la concurrence, et ne disposant pas des réseaux permettant de "rebondir"). Il cumule, pour les plus modestes, les injustices "larvées" d'un monde de statuts avec les violences "dynamiques" d'un monde de concurrence (perte brutale d'emploi sans possibilité de préparer la suite, changements d'emploi non souhaités, non anticipés, déqualification faute de disposer d'une qualification dans les métiers "porteurs" ou de s'y réorienter...). Les mieux placés ont, au contraire, les bénéfices du pouvoir d'achat d'un monde en concurrence, avec la tranquillité d'un monde de caste.

La troisième possibilité est celle d'un monde plus productif et plus "dynamique", accompagné d'un système social qui réduit la violence des changements de statut et de la remise en cause des rentes. C'est celui que décrit brillamment John Sutton.

Ou est la responsabilité ? D'abord, d'avoir organisé l'ouverture à la concurrence (libéralisation des marchés, ouverture des marchés, concurrence intra-européenne) - ce qui était une bonne chose - sans avoir, en même temps développé le système social nécessaire pour accompagner ces évolutions. Des responsables politiques comme Jacques Delors ont plusieurs fois dénoncé les risques induits par cette absence de "pilier social" dans la construction européenne et l'ouverture de ses marchés, mais le phénomène est plus large.

La responsabilité, c'est ensuite d'avoir tardé à réagir à ce manque. A la décharge des pouvoirs qui se sont succédés, l'idée que l'accompagnement "humain" soit un maillon essentiel de notre système social est plutôt récente - elle date de quelques années seulement. Avant celà, les "experts" proposaient à gauche, une évolution du droit social (temps de travail, lutte contre le stress) et, à droite, une libéralisation (ouverture du marché du placement des chômeurs, réduction de la complexité du droit social). Dans une certaine mesure, ces propositions avaient, au moins en partie, une utilité. Mais elle n'ont jamais touché le coeur du problème : mettre les moyens et prendre les décisions qui permettront de mieux orienter, former et accompagner les personnes touchés pour les restructurations sous toutes leurs formes. De ce point de vue, la cause est donc l'insuffisance de réflexion et de "recherche et développement" en idées politiques : élus, administrations, chercheurs et partis en portent la responsabilité... La encore, les responsabilités sont diffuses - on y compte notamment les dirigeants de parti qui ont asséché leurs "intellectuels" à force de les instrumentaliser, de ne pas les écouter ou de démotiver ceux qui auraient souhaité consacrer du temps à la "r&d politique".

La cause tient également le niveau de centralisation de notre pays : en effet l'atténuation du stress lié à la concurrence appelle des réponses opérationnelles, proches des gens et de leurs problèmes, là où des experts - économistes ou fonctionnaires - cherchaient des recettes aux seuls problèmes visibles de leur tour d'ivoire statistique (qui ne mesurent pas le mal-être au travail, ni le bonheur d'ailleurs), et des solutions qui puissent s'exprimer par des prescriptions exprimées par eux, et exécutées par des agents de terrains auxquels personne ne demande de réfléchir... D'une certaines façon, de nombreux économistes sont les enfants spirituels des planificateurs, avec l'efficacité que l'on connait.

Pour revenir à l'objet de cet article, il est évidemment faux de dire que l'Etat providence à rendu les gens faibles. C'est au contraire le niveau de pression lié à l'évolution de la concurrence qui induit des pressions parfois intolérables (le lecteur attentif notera la place de pays aussi "tendres" vis-à-vis de leurs salariés que les Etats-Unis). La solution est dans l'accompagnement des transitions, plutôt que dans le "renforcement mental" de personnels jugés trop faibles ! Parler de faiblesse dans ces cas est aussi pertinent que de proposer de la brioche à ceux qui manquent de pain : ca n'aide pas à trouver une solution, en plus d'être insultant - même s'il s'agit probablement d'une maladresse qui aurait pu être évitée en adaptant la force des affirmations à la sensibilité et la complexité de la situation...

mercredi, septembre 16, 2009

Aligner les rémunération des dirigeants sur l'intérêt de long terme ?

(version en cours de rédaction)

Derrière le débat sur le montant des rémunérations des patrons et des traders (que je ne vais pas aborder ici), se cache la question de l'alignement de l'intérêt financier des dirigeants avec l'intérêt de long terme.

Il existe trois grands types d'outils pour celà :

- la valeur de marché de l'entreprise. On peut donc donner des actions ou des dérivés d'actions, c'est à dire lier l'intérêt financier des dirigeants au prix de l'action. L'avantage de ces outils sont leur simplicité (pas de calcul complexe à faire sur ce que le dirigeant a fait gagner : il suffit de lui donner un pourcentage de l'entreprise, ou des options lui donnant droit à une part de l'entreprise). L'inconvénient est que l'intérêt de long terme de l'entreprise n'est reflété que de façon imparfaite dans le prix des actions : ils varient fortement, peuvent être manipulés (une déclaration optimiste du dirigeant la veille de sa levée d'option peut lui faire gagner des millions) et ne réflètent pas uniquement la valeur objective de l'entreprise

- les profits de l'entreprise. On peut alors donner au dirigeant non pas des actions, mais un droit non négociable (c'est à dire qui ne peut pas être revendu) aux dividendes - ce qui conduit à ce que l'intérêt financier du dirigeant ne soit non pas la valeur de l'action anticipée par les marchés (qui est un concept manipulable, volatil et limité par la capacité des marchés à accepter une stratégie), mais le niveau anticipé par le dirigeant des revenus des 15 années à venir (ce qui le poussera vers les projets effectivement rentables, plutot que ceux que le marché, avec ses errements, ses bulles et sa difficulté à comprendre une stratégie complexe, atypique ou audacieuse, peut considérer comme tels à un instant donné).

C'est ainsi que les dirigeants des "partnerships" (tels que Goldman Sachs, ou certains cabinets d'avocats avant son introduction en bourse) ou les actionnaires "familiaux" de sociétés non cotées sont rémunérés. Une variante de ce mode de rémunération consiste à rémunérer l'action d'un dirigeant non pas en bonus encaissable directement, mais en droits à retraite supplémentaires, dont la valeur dépendra de l'état de l'entreprise dans 10 ou 20 ans. L'avantage de cette solution est qu'elle ne recoure pas aux marchés (et permet donc au dirigeant de porter des décisions pertinentes mais difficiles à comprendre par les marchés, et lui évite de succomber aux folies passagères et aux bulles des marchés en visant plutôt les revenus à 10 ou 20 ans), l'inconvénient étant que cet "outil" d'un genre nouveau ne bénéficie pas des exonérations notamment sociales auxquelles les stock options donnent droit.

- un bonus discrétionnaire. En effet, les actionnaires peuvent toujours décider que le revenu des dirigeant sera une formule qu'ils peuvent définir librement. Le bonus peut être annuel (cas des traders ou des vendeurs travaillant à la commission) ou pluriannuel (mais c'est difficile à mettre en œuvre dans les groupes internationaux, car cela suppose de suivre les salariés pour leur verses les bonus liés à leur activité dans leurs postes précédents).L'inconvénient principal de cette formule est d'une part la capacité du dirigeant à manipuler les termes sur lesquels il est jugé (il maitrise en partie le thermomètre sur lequel il sera jugé) et, d'autre part, le fait qu'une formule spécifique, les stock option, dispose d'un avantage fiscalo social tel qu'il est difficile d'examiner d'autres voies.

Le bonus annuel est plus adapté aux salariés dont la contribution est mesurable sur une base annuelle (revenu de trading, objectif de ventes, nombre de pièces réalisées,...), alors que les incitations pluriannuelles conviennent mieux aux personnes dont la contribution est difficile à mesurer par des objectifs précis, ou ceux pour lesquels ont attend justement qu'ils trouvent des voies pour augmenter la valeur de l'entreprise.



Pour des raisons de justice et de cohérence fiscale, il serait difficile de rendre la troisième option (actuellement pénalisée par rapport aux stock options, qui n'acquittent notamment pas de cotisation sociales employeur) plus attractive. En effet, détaxer les bonus conduirait à ce que les entreprises transforment progressivement les salaires fixes en bonus, pour réduire leurs taxes. On pourrait discuter de l'intérêt de taxer les salaires (je pense personnellement que c'est une mauvaise assiette de taxation) - mais à partir du moment où l'on décide de les taxer il nécessaire d'être cohérent et taxer tout le monde de façon équitable.

En revanche, à l'heure où tout le monde dénonce les excès des marchés, on pourrait sérieusement se demander si des outils nettement plus favorable à l'intérêt de long terme de l'entreprise que les stock options ne pourraient pas être étudiés. En particulier, l'idée que les dirigeant soient récompensés pour leur performance par des titres non négociables plutôt que par des stock-option mériterait d'être prise en considération...

vendredi, septembre 11, 2009

Premières conclusions de la Commission "Stiglitz"

La commission "Stiglitz" rendra prochainement son rapport, mais la presse en présente déjà les premiers éléments.

J'attends de lire le rapport, mais les reprises de la presse et les premiers éléments connus m'en font penser du bien. En peu de mots : le bon indicateur de pilotage d'un pays n'est pas le PIB (qui mesure l'intensité de l'activité économique, sans regarder à quoi elle contribue, ni si cette activité rend ceux qui la réalisent plus heureux) mais plutôt un ensemble plus large d'indicateurs qui mesurent les "produits utiles" de cette activité (amélioration de la santé, éducation, cohésion sociale,...) et en déduisent les "nuisances" (pollution, bruit, stress,...). On peut avoir beaucoup d'effets avec peu de moyens, et le contraire peut être également vrai.

En effet, gérer un pays en se focalisant sur le PIB revient à conduire une voiture en ne regardant que le compteur de vitesse, sans regarder le point d'arrivée, les risques d'accident ou la consommation d'essence. La recherche de l'intérêt général demande au contraire de s'intéresser à tout le reste (Kennedy disait "le PIB mesure tout, sauf ce qui est réellement important").

On bute alors sur deux difficultés. La première tient à la complexité du débat démocratique, car il faut alors suivre non pas un seul chiffre (le PIB), mais des dizaines d'indicateurs (santé physique et mentale, insertion, bonheur, sentiment de sécurité,...), et à la facon dont ils évoluent en tout temps et en tout lieu. La deuxième difficulté tient à l'existence, ou non, d'outils de mesure (on mesure facilement l'argent qui circule dans une économie, plus difficilement le bonheur, public ou secret, des citoyens). Or il est plus facile de gérer ce qui se mesure - ce qui conduit souvent les organisations à se focaliser non pas sur ce qui est le plus important, mais sur ce qui se mesure le plus facilement...

Au total, et pour reprendre la métaphore sur la conduite automobile, un chauffard qui ne regarde que la vitesse n'a pas besoin d'une grande expérience, ni de réfléchir à la trajectoire ou au point d'arrivée. La solution n'est pas non plus, à mon sens, de tomber dans l'anarcho-nihilisme.

Ce qu'il faut au pilotage d'un pays, c'est une figure capable de poser des débats, dans leur finesse et leur complexité (tels que celui lancé par la commission Stiglitz), et d'avoir une vision, de l'expérience, de la technique et beaucoup de doigté...

Le mot de la fin appartient à John Kay, dans sa chronique du Financial Times, qui dit "In Peter Weir’s film Dead Poets Society, Robin Williams portrays a charismatic teacher obliged to teach from a text by J. Evans Pritchard. Mr Pritchard explains that “if a poem’s score for perfection is plotted along the horizontal of a graph, and its importance is plotted on the vertical, then calculating the total area of the poem yields the measure of its greatness”. Williams tells his pupils to tear these pages from the book, and goes on to inspire them with a genuine love of literature. We should approach bogus quantification in the same way."

NB : Le rapport est finalement sorti. On peut le télécharger ici.

vendredi, septembre 04, 2009

Sortie en librairie du "Sens des choses"

Le Sens des Choses sort mercredi prochain en librairie. Il est disponible en pré-commande chez les libraires en ligne...