vendredi, avril 09, 2010

Les trois limites de la dette publique

Les Echos publient ce matin un billet sur la dette, repris ci-après.

Le prochain livre de Jacques Attali "Tous ruinés" parlera dans plus de détails de cette épineuse question. Lecture recommandée !

Voir aussi Paul Krugman sur le même sujet, m si je ne partage pas la vision qu'il peut sembler défendre sur la nécessité d'avoir de l'inflation pour se débarrasser de la dette. Réduire sa dette par l'inflation revient à spolier les emprunteurs - certes plus "doucement" qu'en répudiant sa dette, mais avec des conséquences similaires sur le long terme (perte de crédibilité)... Les seules solutions vertueuses et efficaces pour atteindre un endettement raisonnable sont soit de ne jamais atteindre un niveau déraisonnable de dette, soit de réduire sa dette par des moyens "honnêtes" - c'est à dire en réduisant les déficits...


Les trois limites de la dette publique





Notre dette publique a atteint 1.489 milliards d’euros fin 2009, soit 17 points de plus que les 60 % du PIB des critères de Maastricht. « Quand les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limites », aurait dit Alphonse Allais. 

S’agissant de la dette, on peut cependant identifier encore trois limites devant nous :

  • la limite de l’efficacité, au-delà de laquelle la dette publique pèse sur la croissance ;
  • la limite de solvabilité, au-delà de laquelle un pays ne peut plus payer les intérêts de sa dette ;
  • la limite de soutenabilité, au-delà de laquelle la dette est jugée tellement injuste par les jeunes générations qu’elle entraîne une rupture du pacte social.

La limite d’efficacité est difficile à estimer

Certes, les pays qui ont le plus de dette ont le moins de croissance. Mais les raisons de ce lien peuvent être multiples : c’est le ralentissement de la croissance japonaise qui a entraîné l’augmentation de sadette publique, et non l’inverse. Il est clair qu’un fort besoin de financement public va réduire les financements disponibles pour le privé et réduire l’efficacité publique en rendant impossibles des dépenses d’avenir même très rentables. Mais ces effets sont difficilement quantifiables.

La limite de solvabilité dépend du niveau de la dette et des taux d’intérêt

Le Japon avec une dette de 200 % du PIB mais un taux de 1,5 % aura le même niveau de charges d’intérêt que la France avec 80 % de dette. Voila comment le Japon pourra soutenir, tant que ses taux restent bas, une dette plus élevée que la Grèce.
Pour la France, si on estime que le niveau de dette « insupportable » serait une ponction de 5 % à 10 % du PIB destinée à la dette, le « plafond » se situerait entre 125 % et 250 % du PIB. Ce plafond sera d’autant plus élevé que la dette sera soutenable, c’est-à-dire que les Français accepteront de payer les impôts destinés à payer les intérêts de la dette.

Une limite de soutenabilité incertaine

La limite de soutenabilité dépend quant à elle de « l’actif net public », c’est-à-dire de l’écart entre le niveau de la dette publique et la valeur des actifs publics dont une génération hérite des précédentes. La Cour des comptes estimait cet actif net à - 690 milliards fin 2008, et il a probablement dépassé - -800 milliards en 2009 pour une dette de 1.500 milliards. Autrement dit, plus de la moitié des intérêts de la dettepayés chaque année sont une ponction sans contrepartie en termes d’actifs.
A partir de quel niveau cette ponction serait-elle jugée injuste au point de représenter un danger pour la cohésion du pays ? Les dommages de guerre imposés à l’Allemagne par le traité de Versailles peuvent donner une référence : la crise allemande de l’entre-deux-guerres fut notamment liée au rejet par les contribuables de prélèvements jugés injustes. Or les montants annuels de réparations représentaient entre 4 % et 7 % du PIB, et notre dette devrait atteindre 140 % à actifs constants pour représenter ce niveau de ponction. Notons au passage que la question du rapport coût-bénéfice du service public représente un enjeu comparable : une sous-productivité de 10 % sur 50 % du PIB de dépenses publiquesinduit une ponction de 5 % ; pour la réduire, la lutte contre les déficits doit privilégier la réduction des coûts sur la hausse des impôts.

Des limites fondamentalement politiques

Ces estimations ignorent cependant les actifs immatériels, tels que la valeur de l’éducation des Français et des passifs tels que les retraites, qui représentent des milliers de milliards. A cet égard, la réforme des retraites constituera une étape cruciale pour assurer le maintien à long terme de l’équité intergénérationnelle. Il en va de même de la quête d’une plus grande performance de notre système éducatif et de recherche.
Au total, la dette nous pose un problème politique plus que financier : celui de l’équité entre les générations et de la façon dont nous veillons à ce que chacune d’entre elles ait à porter une dette qui ne soit pas disproportionnée par rapport aux retours dont elle bénéficie.
Cet article a été publié dans "Les échos" le 9 avril 2010