mercredi, décembre 26, 2007

Plus de social pour plus de compétitivité : le paradoxe de Sutton

John Sutton a publié dans la revue Progressive Politics une étude (traduit par la Fondation jean Jaures ici) essentielle à deux titres D'abord, elle donne une explication extrêmement claire de l'évolution de la mondialisation, et de son impact sur les économies des pays développés. Ensuite, elle explique, avec tout autant de clarté, comment cette évolution n'empêche en rien un pays tel que la France de mener une politique sociale ambitieuse.

Cette étude distingue trois phases dans la mondialisation. Dans la première, les exports des pays à bas coûts du travail sont essentiellement produits à partir de main d'œuvre peu qualifiée - du textile ou de l'habillement par exemple. Dans une deuxième phase, ils intègrent également de la main d'œuvre qualifiée, comme dans l'électronique grand public. La troisième phase correspond aux cas dans lesquels ces pays exportent aussi des produits très capitalistiques, dont le prix n'est plus lié au coût de la main d'œuvre. Ce que montre clairement l'étude de la fondation Jean Jaurès, c'est que les pays tels que l'Inde et la Chine ont depuis le début des années 1990 dépassé la troisième phase. Et, en effet, les activités informatiques sont en trains d'être délocalisées vers l'Inde, et c'est une entreprise chinoise, Lenovo, qui a mis la main sur l'activité de microordinateur d'IBM qui avait donné naissance au PC.

Dans ce contexte, certaines stratégies industrielles sont vouées à l'échec. D'abord, celles qui sont fondées sur l'idée – désormais fausse – qu'il existe des activités dans lesquelles les pays développés disposent d'un avantage absolu durable. S'il existe des entreprises françaises compétitives, elles le doivent de moins en moins à ce qu'elles produisent, et de plus en plus à la façon dont elles ont su évoluer pour rester compétitives. Les stratégies fondées sur le "nationalisme économique" sont également condamnées, car pour être compétitif au niveau mondial les entreprises doivent pouvoir disposer des meilleurs fournisseurs. Autrement dit, pour être compétitif à l'export, il faut être compétitif dans ses achats, et donc à l'importation.

Mais, même dans un contexte aussi compétitif, il n'y a pourtant pas de fatalité, et il reste possible de construire un modèle social généreux. Mais, sauf à tirer vers le bas le pouvoir d'achat national, la générosité de ce modèle ne peut plus se mesurer au niveau de stabilité des postes et des statuts (et notamment ceux de ses cadres supérieurs). Or c'est pourtant ce qui caractérise le modèle français, qui indemnise une fraction de l'ancien salaire au lieu d'accompagner vers le futur emploi, qui traite mieux les vieux que les jeunes, qui accompagne davantage les salariés de grands groupes que les salariés des PME ou les indépendants.

Ecoutons plutôt Sutton : nous pouvons avoir un modèle aussi généreux mais plus compétitif si cette générosité vise non pas la stabilité des postes, mais la recherche du meilleur emploi, c'est à dire l'identification pour chacun du meilleur compromis possible entre ce qu'il veut, ce qu'il peut et les diffférentes possibilités que pourrait lui offrir le marché du travail, au besoin après une formation (voir sur ce sujet le site www.supprimerlechomage.org). Mais pour valoriser ainsi la diversité et la créativité collective des Français, il y a sans doute un préalable : la diversité et à la créativité de nos responsables publics.

Toyota, premier constructeur automobile mondial

Toyota est devenu le premier constructeur automobile mondial, devant General Motors (Buick, Cadillac, Chevrolet, Daewoo, GMC, Holden, Hummer, Opel, Pontiac, Saturn, Saab, et Vauxhall).

Cette information est intéressante à au moins deux titres :

- d'abord, elle marque le retour en grace de l'industrie japonaise : qui se souvient des craintes américaines et européennes face au Japon dans les années 80 ? Ces craintes sont retombées avec l'envolé du cours du yen, puis l'effondrement de la bulle financière (confirmant au passage la malédiction selon laquelle faire la Une de la presse économique condamne à la faillite quelques années plus tard!). Dix années plus tard, c'est Renault qui venait au secours de Nissan et redressait avec succès l'entreprise. Dix ans de plus et c'est Toyota qui devient numéro un mondial !

- ensuite, elle illustre la nature des avantages comapratifs dans une économie mondialisée : la Japon n'est en effet pas un pays à bas coûts de main d'oeuvre.
(même s'il est vrai que les Etat-Unis ont dans le secteur automobile une convention collective très généreuse, la France étant quant à elle plutpot un pays à bas coût).
Si Toyota est compétitif, c'est pour deux raisons : d'abord Toyota exporte bien car elle sait bien importer (autrement dit, elle sait trouver les composants les moins couteux et les meilleurs pour rendre ses voitures compétitives).
Ensuite, les japonais ont su développer une supériorité en matière d'organisation, copiée depuis par le monde entier, mais dont Toyota peut être considéré comme "l'inventeur".

Autrement dit, on peut encore avoir, dans les pays développés, des champions industriels - dès lors que l'on a compris la leçon zéro de la performance dans une économie en concurrence :

- ne jamais chercher à faire soi-même ce que d'autres peuvent faire moins cher
- être très compétitif dans les tâches d'organisation et de conception.

Un pays ayant une tradition d'ingénieurs tels que la France (et de nombreux autres points communs avec le Japon) pourrait utilement s'en inspirer...

samedi, décembre 15, 2007

You are remembered for the rules you break

Gérer l'équilibre entre le long et le court terme : c'est la principale difficulté posée à beaucoup de décideurs.

Pour un chef d'entreprise : comment assurer le rendement demandé par ses actionnaires tout en investissant les montants nécessaires (formation, recherche, investissements,...) pour préparer les profits de demain ? Comment résister à la tentation des "modes" (de la bulle internet, à la folie des subprimes en passant par les investissements dans des zones prometteuses sur le papier, mais ruineuses en pratique) tout en gardant une crédibilité suffisante pour conserver son poste ?

Pour un homme politique : comment répondre aux demandes - souvent pressantes - de l'opinion publiques (pouvoir d'achat, sécurité dans les ascenceurs, lutte contre les chiens dangereux...) tout en assurant l'avenir (éducation, recherche, maitrise de la dette) ? Comment garder une popularité suffisante pour rester en place tout en rendant publiques les incohérences collectives ou les "mythes ruineux" qui bloquent le progrès du pays (tels que la croyance dans une martingale pour régler le manque de financement des retraites sans devoir un jour réduire les pensions ou augmenter les cotisations) ?

Pour cette raison, ceux d'entre eux qui font le meilleur travail sont rarement les plus populaires - trancher des questions difficiles, rendre publics les non-dits qu'une société se refuse d'assumer sont rarement des sources de popularité immédiate. Mais le bilan s'inverse à long terme : comme le soulignait le Général Mac Arthur "You are remembered for the rules you break" - ce que l'on pourrait traduire par "Seules les ruptures laissent des traces dans l'histoire"...

samedi, novembre 17, 2007

Tout savoir sur les agences de notation et les subprimes sans oser le demander, confiance et croissance

Rama Cont, professeur a Columbia, a écrit un article éclairant sur le rôle des agences de notation. Il dépasse, de loin, tout ce que j'ai pu lire avant sur le même sujet.


Disponible ici


Je vous signale également une excellente étude publiée par le Sécratariat d'Etat à la Prospective sur le lien entre confiance et croissance.

Disponible ici

mardi, novembre 06, 2007

Le chômage en France : un problème de gestion des risques

Beaucoup de chômage, peu de moyens pour aider les chômeurs

La France se distingue par la sous-utilisation de sa main d’œuvre qui touche particulièrement ceux qui tentent d’entrer ou de réentrer sur le marché du travail – qu’il s’agisse de salariés licenciés ou non reconduits (contrat à durée déterminée, interim), de jeunes à la recherche d’un premier emploi, ou de seniors poussés vers des préretraites ou tenus à l’écart de l’emploi. Au total, près de 15 à 20 % de la population active est ainsi inutilisée (1) . Une autre partie de la main d’œuvre sous-utilisée concerne des salariés titulaires d’un emploi mais surqualifiés (jusqu’à 25 % des salariés selon les estimations) ou encore ceux qui disposent d’un potentiel que notre économie ne sait pas pleinement utiliser.

Notre pays se caractérise également par la faiblesse de ses résultats en matière de traitement du chômage. Les montants très élevés – de la dépense pour l’emploi ou de la formation professionnelle – cachent des résultats médiocres ainsi que l’attestent deux simples statistiques. En effet, selon un premier chiffre issu de l’enquête « Emploi du temps » de l’Insee, un demandeur d’emploi français passe, en moyenne, environ trente minutes par jour à chercher un emploi. Cela montre à quel point nous laissons l’individu démuni face à un problème (le chômage) dont la responsabilité est pourtant majoritairement collective (2) . Et, selon un second chiffre, à la question « Avez-vous bénéficié d’une formation l’an dernier ? », les salariés français sont ceux qui, en Europe, répondent le plus souvent par la négative car notre système de formation professionnelle concentre ses moyens sur les individus déjà les plus qualifiés.

Il y a désormais consensus sur le fait que notre système est inadapté. En revanche, il n’y a pas accord sur les causes profondes du chômage.

Le chômage en lien avec la gestion collective des risques économiques

La cause profonde du chômage français tient à notre incapacité collective à gérer le risque économique, notamment parce que nos institutions fonctionnent sur des schémas d’il y a cinquante ans – c'est-à-dire d’une époque antérieure à la libéralisation des marchés financiers ou des biens et services. Ces libéralisations ont apporté de nombreux bénéfices aux consommateurs (plus de choix et de pouvoir d’achat) et aux entreprises (un accès plus simple et plus ample au financement), au prix d’une accélération de la transmission des chocs économiques. Schématiquement, le délai entre la perte de compétitivité d’un produit (devenu trop cher ou ne correspondant plus au goût du consommateur) et la remise en cause de l’emploi de celui qui le fabrique s’est considérablement réduit : c’est une bonne nouvelle pour la productivité, mais une moins bonne nouvelle pour les salariés.
En effet, auparavant, les salariés étaient protégés par le fait que les entreprises « amortissaient » les chocs économiques notamment grâce à l’existence de barrières à l’entrée d’entreprises concurrentes et de produits alternatifs. La libéralisation financière et le développement de la concurrence intra-européenne et mondiale ont accéléré la rupture de ce « pacte » – qui n’était sans doute pas soutenable à long terme dans une économie ouverte – sans pour autant qu’un système plus cohérent n’ait été mis en place pour le remplacer. Notre système de protection individuelle contre le risque économique s’est progressivement réduit, au point que les Français perdant leur emploi, notamment les plus modestes, se considèrent victimes d’une profonde injustice : celle de devoir supporter à titre individuel les effets d’un dysfonctionnement, le chômage, dont les causes sont collectives.

Aucune des politiques publiques mises en place n’a abordé ce point fondamental qui aurait nécessité un véritable « changement de paradigme » dans la façon de concevoir nos politiques sociales. À la place, il a été plus confortable et moins dérangeant de traiter les symptômes avec des politiques pour les jeunes (emplois aidés, aides à l’insertion), pour les seniors (préretraites, contribution « Delalande » taxant le licenciement de salariés âgés – et décourageant de fait leur embauche –), pour les victimes de plans sociaux (qui représentent moins de 10 % des entrées au chômage et font souvent moins de victimes que les plans de terminaison massive de contrats d’interim), ou encore en créant des guichets qui accueillent les demandeurs d’emploi sans disposer des moyens de les aider vraiment. L’une des meilleures illustrations des limites de ce traitement symptomatique du chômage est sans doute la concomitance paradoxale entre une baisse des charges destinée à favoriser l’emploi (en rétablissant les profits par la baisse des coûts salariaux) et l’augmentation du Smic au-delà de l’obligation légale – qui a eu l’effet exactement inverse.

Gérer les risques économiques avec justice et efficacité

En résumé, notre économie subit des chocs divers (innovation, concurrence, modification des goûts des consommateurs, épuisement de ressources rares…). Même si certains de ces chocs sont au bénéfice de la collectivité, ils représentent tous des risques pour les individus (salariés, patrons de petites et moyennes entreprises, PME). Le problème politique pourrait être résumé ainsi : gérer ces risques avec justice et efficacité.

L’objectif de justice

Cet objectif conduit à faire en sorte que l’impact de ces chocs soit réparti de façon équitable. La tâche est difficile, comme le montrent deux exemples :
- en matière d’ouverture à la concurrence internationale, la bonne solution n’est ni de supprimer brutalement les droits de douane, ni de créer des barrières à l’entrée, mais de conserver (temporairement) des droits de douane limités dont le montant permette de financer l’ajustement des secteurs touchés par l’ouverture des frontières, de façon à ce que « les gagnants payent pour les perdants ». C’est très indirectement ce qui a été fait dans le secteur automobile dont l’ouverture à la concurrence a été progressive, les constructeurs ayant obtenu des restrictions sur les modes de distribution qui ont, de fait, bloqué l’entrée des modèles étrangers. Entre temps, le secteur automobile français a pu se mettre à niveau notamment grâce à l’aide de l’État en matière de préretraite. Cependant, il est la plupart du temps très difficile d’identifier les gagnants, les perdants, et d’organiser des transferts des premiers vers les seconds.

- de la même façon, il est généralement difficile de taxer les nouveaux produits pour financer « les perdants de l’innovation ». On peut cependant citer l’exception des contributions mises en place sur les supports informatiques pour financer les auteurs ou interprètes « victimes » des innovations liées au numérique.

Au total, les difficultés pratiques conduisent rapidement à renoncer à des outils sectoriels au profit d’outils généraux : faire contribuer les gagnants par le biais de taxes sur les profits ou sur les tranches élevées de revenu, aider les perdants par le biais de dispositifs de « sécurisation des parcours professionnels ». Notons au passage que l’on peut également faire en sorte que notre système évite de pénaliser les perdants, par exemple. C’est l’objet du débat sur la TVA sociale qui vise à asseoir – comme quasiment partout ailleurs dans le monde – le financement de prestations générales liées à la famille ou la santé sur des impôts généraux (lesquels taxent les consommateurs de produits importés, c’est-à-dire les « gagnants » de la mondialisation) plutôt que sur des contributions pesant sur les salaires (qui aggravent les difficultés des « perdants »).

L’objectif d’efficacité

Cet objectif implique, quant à lui, de faire porter les risques économiques par ceux qui peuvent les contrôler.
Dans ce domaine, notre système peut être largement amélioré (3) .
Notre système d’assurance chômage fait payer une prime unique quel que soit le risque du contrat (CDI, CDD, interim…) et quelles que soient les pratiques d’emploi de l’entreprise concernée. Les États-Unis, de leur côté, pratiquent un système de bonus/malus qui permet d’éviter de faire subventionner les secteurs qui « consomment » de la précarité par ceux qui ont une structure d’emploi plus stable, ou qui préparent davantage la reconversion professionnelle de leurs salariés. S’il est clair qu’un système de bonus/malus contient une part d’arbitraire qui peut générer des injustices (4), il reste globalement plus juste et beaucoup plus efficace qu’un système sans modulation. Dans le domaine de l’assurance chômage, un tel dispositif devrait évidemment être accompagné d’un certain nombre d’adaptations, notamment pour assurer qu’il ne dissuade pas d’embaucher les salariés les moins employables.

Comme l’explique brillamment John Sutton (5) , notre incapacité à protéger nos concitoyens contre les risques économiques pèse lourdement sur la compétitivité et l’efficacité de notre économie. En effet, la compétitivité d’un pays tel que la France tient avant tout en sa capacité à prendre rapidement des positions dans des secteurs porteurs, et à intégrer dans sa production des produits à bas coûts : pour être compétitif à l’export, il faut savoir bien importer. Il sera donc très difficile d’être compétitif si le dispositif public ne garantit pas que les agents économiques les plus exposés (salariés, petits commerçants, entrepreneurs…) ne soient pas trop perdants (6) . Plus généralement, cette « rigidité française » conduit à vivre comme une menace tout changement, même lorsqu’il est porteur d’amélioration.

Enfin, le statut du chômage est actuellement un statut par défaut – c’est le statut de ceux qui n’en ont plus –, stigmatisant du point de vue social (un demandeur d’emploi est isolé, parfois considéré comme une charge, et souvent suspecté). Au contraire, on devrait considérer que celui qui passe du temps à identifier le poste qui utilise au mieux ses compétences, et à s’y préparer (via une formation par exemple), réalise une tâche utile socialement : il permet de faire en sorte que la réserve de compétences de notre pays s’adapte au besoin du marché. Dans cette perspective, l’indemnisation du chômage cesserait d’être une aumône ou un dû pour devenir un revenu correspondant à une réelle activité. Cela supposerait de définir un rôle d’« employeur de dernier ressort » (qui existe sous une forme ou sous une autre dans la plupart des pays développés), assurant à ceux qui se sont engagés dans cette voie un débouché, sous des conditions et dans un cadre à définir. Il pourrait s’agir de l’État (sous la forme d’emplois aidés à la française, ou encore d’allocations de handicap à la nordique), ou d’entreprises qui tiendraient ce rôle par délégation de l’État (comme c’est déjà le cas via les aides à l’emploi ou les quotas d’emploi de travailleurs handicapés).

Conclusion

Au final, cette analyse revient à admettre qu’une économie de marché génère plus de richesses mais également plus de risques. Si l’on souhaite éviter que ces risques pèsent sur les plus vulnérables, il nous manque au moins trois éléments essentiels.

D’abord, un meilleur partage des risques avec une cotisation bonus/malus pour financer l’assurance chômage (sous une forme adaptée aux spécificités du domaine social) et une définition claire des missions et responsabilités de l’« employeur de dernier ressort » (sans lequel il n’est pas possible de garantir totalement contre le risque économique). En contrepartie, une partie des risques qui pèsent sur l’entreprise (risques juridiques, ou d’allongement des procédures) pourrait être réduite.

Ensuite, il est nécessaire d’offrir un statut plus clair et valorisant à ceux qui se lancent dans une recherche active d’emploi, statut qui reconnaîtrait que leur démarche sert un objectif collectif d’adaptation de notre économie. Les retours à l’emploi seraient alors accélérés et de meilleure qualité. Dans le même temps, la suspicion qui pèse sur les demandeurs d’emploi, liée au fait qu’on leur propose surtout une indemnisation, et bien peu d’encadrement, diminuerait sensiblement.

Enfin, il faut des moyens adaptés – plus importants, mais surtout mieux répartis, et mis à la disposition d’acteurs publics moins divers mais très fortement responsabilisés – afin d’aider le demandeur d’emploi à faire un bilan sur sa situation et ses compétences, sur les possibilités offertes par le marché et lui permettre d’atteindre la meilleure situation qu’il puisse raisonnablement attendre.

Au total, dans un pays parfois présenté comme averse au risque, c’est précisément sur un meilleur partage et une meilleure gestion des risques qu’il faut fonder une réforme sociale.


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1 . Une démarche similaire conduirait de la même façon à des taux majorés dans de nombreux pays, une partie des publics comptabilisés comme chômeurs en France étant comptabilisée hors de la population active aux États-Unis – en particulier dans la population carcérale –, ou comme handicapés dans certains pays d’Europe du Nord.

2 . Qu’il s’agisse de la macroéconomie, des défauts de nos institutions sociales, et plus généralement de toutes les incohérences qui maintiennent un chômage élevé.

3 . Les éléments présentés ici reprennent largement les conclusions de « Changer de paradigme pour supprimer le chômage », co-écrit avec Jacques Attali (note électronique n° 15, Fondation Jean Jaurès, décembre 2005).

4 . Comme le constatera tout automobiliste ayant eu un accident impliquant une part de malus.

5 . « Mondialisation, une perspective européenne », traduit par la Fondation Jean Jaurès, disponible sur internet : http://fondatn7.alias.domicile.fr/bdd/doc/nweb06.pdf

6 . Une étude du McKinsey Global Institute (« How France can win from offshoring ») montre ainsi que lorsque les États-Unis délocalisent 1 $ de production, le pays gagne 0,14 à 0,17 $. La France en revanche perd environ 0,26 $, essentiellement parce qu’elle n’arrive pas à réemployer rapidement ceux qui ont perdu leur emploi sur des fonctions plus productives…

samedi, août 25, 2007

Les mécanismes d'une crise

L’analyse la plus éclairante de la crise des « subprime » qu’il m’ait été amené de lire est celle de John Kay dans le Financial Times. Pour Kay, cette crise illustre en effet une distorsion entre le rôle que devrait théoriquement occuper le système financier, et son rôle dans la période récente.


En théorie le système financier doit permettre d’allouer au mieux les capitaux et les risques au sein de l’économie mondiale.
Ainsi, en première analyse, le fait que la moitié des actions du CAC soient possédées par des étrangers a des conséquences positives : sans ces capitaux étrangers, les entreprises françaises auraient moitié moins de moyens pour se développer.

De la même façon, le fait que les risques soient mieux répartis permet de financer des projets risqués (startups, développements de grands projets industriels ou d’infrastructure) que personne n’aurait financé s’ils avaient fallu trouver un investisseur unique. En effet, une partie de la stratégie des fonds d’investissements est de « diversifier », c’est à dire de financer plusieurs projets risqués à la fois pour que la rentabilité de ceux qui réussissent compense les pertes de ceux qui échoueront : cette diversification est rentable (ce qui signifie qu’elle génère globalement plus de succès que d’échecs), et elle permet de financer des projets que personne n’aurait financé s’il avait fallu placer « tous ses œufs dans un même panier ».

Cette diversification permet de distribuer les risques au sein de l’économie de façon à ce que ce qu’ils échouent chez ceux qui sont le mieux à même pour les porter. Sans marchés financiers, les sociétés de parapluies auraient du mal à trouver des capitaux. En effet, elles sont très risquées car en cas de beau temps puisqu’il y aura moins de ventes, donc moins de bénéfices. Il en va de même pour les sociétés produisant des crèmes solaires (dont les ventes baissent s’il fait mauvais temps). Avec des marchés financiers, on trouvera facilement des actionnaires pour financer le développement de ces sociétés, car ils achèteront des portefeuilles incluant des sociétés de parapluies, dont le titre baisse s’il fait beau, et des sociétés de crème solaire, dont les actions montent s’il fait beau.

Plus généralement, la finance permet d’améliorer la gestion des risques en les faisant porter par ceux qui peuvent le mieux les contrôler : les actions de sociétés de parapluies seront achetées par ceux qui peuvent le mieux gérer les risques liés à la possession de ces actions (notamment parce qu’ils peuvent neutraliser ce risque, avec des actions de sociétés de crème solaire dans l’exemple ci-dessus), soit ceux qui peuvent tirer le plus d’argent de ces sociétés (parce qu’ils les gèrent mieux ou valorisent mieux leurs produits).

Mais Kay souligne également une autre facette de la finance, dans laquelle les risques vont non pas vers ceux qui peuvent le mieux les gérer, mais vers ceux qui les comprennent le moins. Pour comprendre comment, imaginons le schéma suivant : les ingénieurs financiers d’une banque vont créer une société, que nous nommerons « ABP » (souvent immatriculée dans un paradis fiscal), qui fait des prêts risqués à des emprunteurs risqués (dans le cas des subprime, il s’agit de bénéficiaires de prêts immobiliers à des conditions de risque très élevées). Pour obtenir l’argent qu'elle va prêter, la société ABP se finance de deux façons.

La société ABP va d’abord émettre des actions (qui génèrent un très gros rendement, mais dont le risque est fort car la valeur des actions sera nulle en cas de faillite). Si ces actions génèrent un rendement suffisant, elles peuvent être achetées par des acquéreurs financiers astucieux qui sauront en annuler le risque (en le diversifiant) tout en gardant un bénéfice confortable. Ces actions représenteront en général de « bonnes affaires » - c’est à dire qu’une fois qu’on aura éliminé leur risque (ce qui coûte un peu d’argent), il restera un rendement plus que confortable.

La société ABP va ensuite émettre des produits de dette plus ou moins complexes. Ces produits donnent l’impression d’être des produits de dette classique (une partie d’entre eux seront d’ailleurs certifiés comme « peu risqués » par les agences de notation). Ces produits seront achetés par des gérants de Sicav « dynamiques » (qui visent à obtenir un rendement supérieur à la normal, ce qui suppose de recourir à des produits « anormaux »), ou par des trésoriers d’entreprises ou de certains structures publiques.

Ils les achèteront, bien qu’ils ne connaissent pas grand chose au financement des prêts immobiliers à risque parce qu’ils pensent que ces produits sont de « bonnes affaires » (c’est à dire, qu’il apporteront un rendement supérieur à ceux des produits offrant un risque comparable). Les agences de notations auront indiqué que ces produits sont « peu risqués », et ils auront constatés que leur rendement est cependant supérieur à ce qu’un produit peu risqué « normal » peut fournir. Les vendeurs de ces produits (et compte tenu des salaires proposés, il existe d’excellents vendeurs dans ces métiers) auront produit des analyses rassurantes sur le faible risque et le rendement élevé de ces produits. Autrement dit, et c’est la thèse de Kay, ceux qui auront accepté de porter le risque l’auront fait sans comprendre ce qu’ils achetaient, en se fiant sur le discours de vendeurs de ces produits (« Faites moi confiance, sur le passé ces produits ont toujours été plus rentables que les obligations d’Etat, sans être plus risqués ! ») - d'autant plus crédibles qu'ils représentent des banques ayant pignon sur rue - et de la notations des agences.

Ces produits sont-ils vraiment de bonnes affaires ? Pour comparer les produits financiers de rendement et de risques différents, il faut estimer leur « rendement corrigé du risque* ». Or personne ne peut connaître réellement le risque de prêter à des gens auxquels personne n’a jamais voulu prêter, sans avoir connaissance du rendement et le risque de défaut de ces produits sur très longue période - deux informations qui n'existent pas actuellement. Certes, on trouvera comme toujours, de nombreux vendeurs ou experts plus ou moins intéressés pour dire que « ces produits ont toujours été de bonne affaires » et expliquer, par des raisonnements plus ou moins convaincants, pourquoi cela devrait rester durablement vrai. Certes il faut compter avec le pouvoir de séduction des généreux cocktails et des invitations à des colloques gastronomiques ou exotiques que certaines banques auront organiser pour récompenser les acheteurs et les prescripteurs, ou pour convaincre les futurs acquéreurs.

Il n’en reste pas moins un fait simple : si les prêts immobiliers "subprime" sont trop mauvais pour être financés par des acteurs « classiques » (qui sont pourtant bien placés pour comprendre et analyser ces risques), ceux qui les financent ont toutes les chances de faire une mauvaise affaire. Et si, parmi ceux qui financent ces prêts et en portent le risque, ceux qui achètent les actions font une bonne affaire, alors ceux qui achètent la dette et les produits complexes font nécessairement une très mauvaise affaire. Comme souvent, c'est celui qui achéte un produit risqué sans vraiment comprendre le risque qui est le "pigeon" de l'affaire !

John Kay rappelle que ce mécanisme a été à l’origine des difficultés des assureurs anglais. Elle fut également présente dans la crise des junk bonds. La faillite d’Enron ou de certaines comètes boursières de l’internet repose également sur des mécanismes similaires. Doit-elle conduire à rejeter la finance au rang des jeux de casino ? Evidemment non. Mais le système financier ne peut tenir un rôle positif tel que cité en début d’article qu’avec des agents qui comprennent ce qu’ils achètent, et disposent d'informations dignes de confiance – à l'inverse de ce qu'on fourni les comptables d’Enron, les analystes financiers de la bulle internet ou les agences de notation de produits complexes au risque sous-évalué.

La morale à tirer de cette affaire se résume en fait à deux principes simples d’investissement :

Premier principe : n’achète que ce que tu comprends.

Deuxième principe : si on te propose un produit complexe mais rentable, cherche qui est le « pigeon ». Si tu ne le trouve pas, ce sera probablement toi !


* : Pour être plus précis, il s'agit du rendement corrigé du risques et de la liquidité.

samedi, juin 09, 2007

L'adhésion politique : d’appareil, d’idéologie, de sympathie ou d’objectifs?

Derrière les questions de choix publics se pose souvent la question de l'appartenance à une sensibilité - de gauche ou de droite. Etre de gauche ou de droite ? 40 % des français avouent n'être sympathisant ni de l'une ni l'autre. Pour les autres il faut distingue quatre types d'adhésion :

- l'adhésion à un appareil, qui regroupe ceux qui disposent d’un poste dans l’une des organisations « officielles », c'est à dire un parti politique (UMP,PS,MoDem,PC, LCR, LO,…). On peut compter environ 500.000 mandats politiques, donc sans doutes un peu moins d'élus. Statistiquement, c'est peu : un peu plus de 1 % des français inscrits sur les listes électorales - même si cette catégorie est fortement surreprésentée dans les médias

- l'adhésion à une idéologie, c'est à dire à certaines idées sur la société – qui peuvent aller, selon le bord politique, de l’idée qu’une certaine redistribution est moralement nécessaire, à l'idée que les revenus ne dépendent que du mérite ou que seule la menace de sanctions peut assurer l'ordre social, jusqu’à l’idée selon laquelle le capital peut être taxé sans effet en retour sur l’emploi et l’activité. Il est difficile d'en estimer le nombre, même s'il est probable que les "purs" qui adhérent à 100 % d'une idéologie de droite ou de gauche sont sans doutes peu nombreux (disons, moins de 10 %) ;

- l'adhésion à des personnes », c'est à dire l'attirance pour une personne qui représente l'une ou l'autre des sensibilités. Il y a, tous partis confondu, des personnes de très grande qualité parmi les élus nationaux ou locaux,, comme des personnes de moins grande envergure. Connaitre un bon élu, conduit généralement à adhérer à leur bord politique. Cette adhésion n'est pas forcément exclusive : 20 à 30 % des sympathisans de droite souhaitent ainsi voir des personnalités telles Dominique Strauss-Kahn, Bertrand Delannoe ou Segolène Royal jouer un role important à l'avenir. 50 % à gauche souhaitent la même chose pour Jean-Louis Borloo. D'autres personnes moins connues, telles qu'Eric Woerth, suscitent des commentaires très positifs du camp opposé sur leur action ministérielle ;

- l'adhésion à des objectifs, par exemple en matière d’harmonie sociale (que les jeunes de banlieues puissent vivre avec les même chances que les jeunes bien nés de Neuilly), de liberté civique (PACS,…) ou de correction des aberrations du marché (2). Ou la volonté de voir l’Etat projeter une vision de la société à long terme et coordonner sa mise en œuvre. Ou le souhait de voir la dépense publique être plus (nettement plus) efficace (1), afin d'améliorer notre compétitivité et notre qualité de vie. Cette adhésion est totalement pragmatique : elle se porte moins sur un parti, que sur la personne ou l'équipe qui apparait à un instant donné la mieux à même de résoudre un problème (le chômage, le déficit, le sous-financement des retraites,...). De la même façon que chacun trouve sain qu'une mission difficile soit confiée à la personne la plus compétente pour cette mission, plutôt qu'à celle qui la réclame depuis le plus longtemps ou le plus fort ;

Les querelles de personne, qui constituent une part importante des débats, ne dépassent pas les deux premières définitions. D'ailleurs, la plupart des français les entendent sans les écouter. La dernière conception, la "politique du résultat" revendiquée à droite comme à gauche, prend une part croissante, au point de voir les français adhérer fortement à un gouvernement "d'ouverture". Pour prendre une image osée, pour la dernière définition de la sympathie politique, "l'ouverture" ne pose pas plus de problème que ne le poserait pour la définition de ce qu'est une boisson le fait de voir un cadre de Pepsi travailler avec un cadre de Coca-Cola pour améliorer la qualité des canettes que tous deux utilisent.

Car la France n'a pas besoin de débats stériles, elle a besoin de rattraper le temps perdu. Pour celà, elle a besoin de compétences - d'où qu'elles viennent. A charge pour les ministres "d'ouverture", s’il s’avèrait qu'ils n'avaient pas les moyens de leur mission, de dénoncer rapidement et publiquement la supercherie.


(1) Ceci étant dit sans pour autant incriminer les fonctionnaires, et surtout pas les agents de base : la responsabilité repose à mon avis entièrement sur les décideurs, les corporations administratives (notamment de la haute fonction publique), et le mode de management trop "politique" des responsables trop préoccupés par l’image immédiate et les annonces, et pas assez des résultats durables.

(2) Par exemple, il existe des éléments convaincants qui tendent à montrer que le niveau de revenu et plus généralement de qualité de vie de chacun est d’abord lié d’abord à la chance, et ensuite seulement au mérite et à l’effort, ce qui justifie de nombreuses corrections.

dimanche, avril 22, 2007

Le progrès économique passe trois fois par le social

La préférence française pour les machines


Les syndicats et une partie de la classe politique ont dénoncé les caisses automatiques, mise en place par plusieurs supermarchés. En permettant aux clients d’enregistrer eux-mêmes leurs achats, ces caisses menaceraient 80.000 à 200.000 emplois de caissières, selon les organisations syndicales. De la même façon, les cinémas UGC permettent à leur client d’acheter leurs billets directement sur des automates. La SNCF a emprunté la même voie en orientant ses clients vers les automates (essayez d’obtenir un billet en moins de 20 minutes aux heures de pointes en passant par le guichet !). Cette évolution traduit plusieurs tendances :

- d’abord, l’évolution des métiers : il n’y a plus de poinconneurs des lilas, remplacés par des automates dans tous les pays développés. De la même façon, les métiers les plus mécaniques sont appelés à être remplacés ;

- ensuite, le coût relatif de la main d’œuvre peu qualifiée dans les services, qui conduit les entreprises française à remplacer une partie de cette main d’œuvre par des investissements (sur ce sujet, voir l’étude de Thomas Piketty publiée dans Economie et Statistique n°318) ;

- plus généralement, une tendance française à traiter les salariés comme des machines, et si possible à remplacer les seconds par les premiers (cf les développements sur ce thème dans « Pour une sécurisation des parcours professionnels »).

Les deux dernières tendances relèvent de facteurs purement nationaux, et appellent donc à des solutions locales :
- le coût relatif de la main d’œuvre pose deux questions. D’abord, celui de l’assiette des cotisations sociales : une grande partie de nos prestations sociales sont relativement bon marché (les dépenses de santé français en % du PIB sont très inférieures à celles des USA, pour une efficacité bien meilleure) mais elles pèsent sur une mauvaise assiette – les salaires. La solution est simple : faire peser le financement de la santé sur d’autres contributions (le budget général, par exemple, ce qui revient à faire peser ce financement sur la première de ses recettes, à savoir la TVA). Ensuite, l’écart relativement modeste entre les salaires les plus bas et les salaires les plus hauts (donc le SMIC est la principale explication) : la faiblesse de cette écart n’est pas un problème en soi (plusieurs études tendent au contraire à montrer qu’une société trop inégalitaire est moins heureuse), mais les outils utilisés pour réduire ces écarts tendent à peser sur l’emploi peu qualifié. Il existe deux solutions : faire employer massivement les personnes en bas de l’échelle des salaires par l’Etat (cas Danois, via les emplois de service à la personne et d’accueil des enfants), ou subventionner les emplois à bas salaire (qui est l’une des raisons d’être de la prime pour l’emploi) – et sans doute un mélange des deux si l’on veut éviter de concentrer les personnels les moins qualifiés dans le secteur public et leur permettre, via la promotion interne, d’évoluer dans le secteur privé (il existe des exemples de caissière passées responsables d’équipes de caissières puis chef de rayon, puis responsables de magasin : s’il n’y avait plus de caissière, le critère du diplôme empêcherait ces personnes d’arriver à de tels postes) ;

- la tendance française à un management « froid » - plus axé sur la technique que sur l’entraînement et la motivation des hommes et des femmes – renvoie à des causes multiples, et profondément ancrées dans notre société. Un peu comme si le recrutement devait constituer la dernière solution à chaque problème, malgré les discours lancinants sur le thème « la véritable richesse de cette entreprises, ce sont les hommes ». Cette tendance culturelle est évidemment liée aux précédentes : si l’embauche de salariés est complexe et coûte cher, il est normal que se créent des habitudes qui tiennent compte de cet état des lieux, même une fois qu’il cesse d’être vrai. Ainsi les entreprises surestiment-elles encore massivement le niveau des charges au niveau du SMIC (de l’ordre de 20 % après allégements) : malgré un niveau de charges désormais modeste au niveau du SMIC du fait des exonérations de cotisations sociales, les entreprises raisonnent encore comme si les charges étaient élevées !

Faire plus de social pour être plus compétitifs : le triple progrès.

La première cause de mécanisation tient à un fait simple : on gagne généralement à remplacer les emplois les plus mécaniques par des machines. Mais si l’on remplace les caissières par des machines, avec des caissières qui restent au chômage, c’est une erreur économique qui coûte cher à la société qui accepte cette situation. Si, au contraire, elles peuvent trouver un emploi au moins aussi attrayant pour elles (condition remplie par beaucoup d’emplois) alors c’est un triple progrès économique – un progrès pour les consommateurs qui payeront moins cher (et payeront moins de cotisations visant à financer l’indemnisation du chômage), un progrès pour l’entreprise qui améliorera ses coûts, et un progrès pour le salarié qui quitte un emploi mécanique, précisément parce que cet emploi mécanique est occupé par une machine. Au contraire la France de 2007 :
- plaint les chômeurs, mais ne fait rien pour les aider à trouver un emploi qui leur correspond ;
- glorifie les entreprises mais ne fait rien que les progrès de gestion ne soient pas lestés pare de la casse sociale ;
- promet des gains de pouvoir d’achat aux français, en omettant de résoudre la contradiction entre consommateurs (qui gagnent aux gains de productivité) et salariés (qui y perdent souvent).

Pour bénéficier du triple progrès économique, nous devons pouvoir fournir à ceux et celles qui occupaient un emploi rendu sans objet des emplois plus attrayants. La générosité de notre modèle doit rester forte, mais elle ne peut plus se mesurer au niveau de stabilité des postes et des statuts. Notre modèle social doit au contraire changer de paradigme et aider enfin la recherche d’emploi – les innovateurs et les créateurs feront le reste.

samedi, avril 14, 2007

La recherche, l’innovation, la compétitivité : mobilisons notre intelligence collective !

Où en est la France ?

En matière de recherche, la France est encore un grand pays, mais qui perd du terrain. Grand pays parce que nous restons à la 5e place en termes de dépenses (environ 30 milliards d’euros annuels), derrière les USA, la Chine, le Japon et l’Allemagne. Nous publions environ 5 % des articles scientifiques du monde (pour 0,9 % de la population mondiale). Nous consacrons 1 % du budget à la recherche (dont 1/5e à la défense) – l’effort global de recherche (privé et public) dépassant 2,1 % du Pib (ce qui est inférieur d’environ 20 % au niveau des pays comparables). A l’exception des sciences de la vie, la recherche française est plutôt plus forte sur les domaines présentant des applications commerciales par rapport aux pays comparables (cf tableau ci-après).

Répartition des articles publiés dans les principales revues par grand domaine




Mais nous perdons du terrain, car nous sommes peu présents dans des domaines aussi porteurs que les nouvelles technologies ou les biotechnologies. Ce retard dépasse largement le secteur de la recherche - ainsi l’investissement national en technologies de l’information est en France deux fois inférieur à celui des USA. Pour prendre un exemple réducteur mais aisément compréhensible, un ménage sur deux possède un ordinateur (2/3 en Allemagne, plus de ¾ au Japon). En nombre d’articles scientifiques par million d’habitants, notre performance est inférieure de 10 % à la moyenne européenne, de 25 % aux USA et de moitié à celle de pays tels qu’Israël, la Suisse ou la Suède, qui se situent aux premières places mondiales. Selon l’OCDE, la France est également moins présente que le Royaume-Uni ou Allemagne sur la coopération internationale en matière de brevets. Enfin la France dispose d’un système reconnu dans la recherche fondamentale (qui est largement partagée avec tous les chercheurs mondiaux car les publications sont loin des applications), moins performant dans la recherche appliquée (qui n’est pas plus noble ou plus « utile » que la précédente, mais qui se situe en revanche plus près des activités rentables, et donc génère plus facilement des revenus).

Si l’on regarde maintenant la façon dont notre recherche est organisée, on constate plusieurs « spécificités françaises » :
- une part plus importante du public dans la dépense nationale de R&D, qui passe par un système complexe et pas nécessairement cohérent alliant universités, organismes de recherche (CNRS, INSERM, INRA, CEA, INRIA…) et grandes écoles (la plupart des laboratoires étant financés par un subtil dosage de ces différentes saveurs) ;
- un système d’enseignement supérieur atypique, dans lequel 2 étudiants sur 5 relèvent d’établissements (classes préparatoires, grandes écoles, IUT) dont une des particularités est de ne pas lier automatiquement enseignement et recherche (comme c’est le cas à l’université, en France et ailleurs), et d’être plus adaptée à un modèle de grands objets industriels qu’à un modèle d’innovation permanente (j’y reviendrais) ;
- le système éducatif « ponctionne » en faveur de l’administration une partie plus importante que dans la plupart des pays développés des jeunes diplômés (ENA, Polytechnique) ;
- le statut des chercheurs est peu incitatif : les meilleurs ont des conditions de travail et des salaires plus élevés à l’étranger (USA, Royaume-Uni), notamment dans les domaines qui présentent des applications rentables. Un exemple pour un enseignant chercheur d’une trentaine d’années en finance ou en économie : il gagne facilement 150.000 euros annuels dans une bonne université anglosaxone (c’est évidemment moins dans des spécialisations plus académiques, mais l’écart subsiste autant dans les salaires que les moyens dont dispose le chercheur). A contrario, un jeune chercheur en France gagne 1.500 euros par mois. Cette caractéristique marque moins un problème en France (beaucoup de pays payent peu leurs chercheurs, même les plus productifs), qu’un décalage entre notre système et un système anglosaxon avec lequel il est néanmoins en concurrence. Dans l’absolu, les deux systèmes sont possibles, mais si les deux coexistent, l’un risque de se vider au profit de l’autre ;
- la réforme des universités française attend encore son heure, alors que beaucoup de réformes ont été entreprises à l’étranger. Cette réforme peut se limiter à quelques mesures simples (en termes de moyens ou d’autonomie réelle – interne comme externe - des présidents d’universités). Elle pourrait aussi être plus ambitieuse et aller de pair avec une réforme des grandes écoles et des organismes de recherche ;
- Le système français de recherche est très marqué par la centralisation (40 à 50 % des chercheurs français sont en Ile de France). Alors que la presse évoque parfois l’exode des cerveaux français vers la Grande Bretagne, cet « exode » n’est rien à coté de l’exode des régions vers l’Ile de France ! Ce déséquilibre conduit nécessairement à une sous-utilisation de notre « intelligence collective » (cf infra) ;
- la France a échoué dans de la « stratégie de Lisbonne » (« : faire de l'UE l'économie la plus performante au monde »), proclamée en 2000 par les dirigeants européens. La coopération en matière de recherche manque de dynamique, comme l’illustre le projet « Quaero » de moteur de recherche sur internet européen (annoncé comme franco-allemand, les allemand s’en étant désengages peu de temps après) ;
- nous assistons à un développement inéluctable de pays tels que la chine et de l’inde (ainsi que certains pays de l’ex bloc de l’Est tels que l’Estonie par exemple), qui ont une tradition scientifique forte et ancienne. Le lecteur intéressé par cette question pourra utilement lire « Mondialisation : une perspective européenne » (de John Sutton, traduit par la Fondation Jean Jaurès), qui illustre très clairement ce phénomène. Ce développement est salutaire pour ces deux pays mais qui aura nécessairement pour conséquence – toutes choses égales par ailleurs – un affaiblissement de la position relative de la France. Trois faits illustrent à quel point ce développement est avancé : la Chine est désormais le deuxième investisseur mondial en matière de R&D. L’activité de PC d’IBM (le creuset « historique » de l’ordinateur individuel très grand public) ont été rachetés par une entreprise chinoise (Lenovo). Les développements en matière de développements informatiques se situe désormais en Inde ;

La recherche pour quoi faire ?

On peut noter au moins deux raisons de développer la recherche :
- d’abord par intérêt pour les sciences et par désir de les faire progresser, ou pour faire progresser un objectif (lutte contre le cancer, les maladies orphelines, ou envoyer un homme sur la lune) ;
- ensuite parce que c’est un investissement collectivement rentable (plus de moyens à la recherche aujourd’hui, c’est plus de croissance et donc plus de richesse demain) et un facteur de compétitivité (quand on veut pouvoir payer plus cher ses salariés, il faut produire autre chose, ou le faire avec des méthodes plus performantes – et pour cela il faut chercher) – avec la difficulté que l’investissement (notamment en recherche fondamentale) est généralement porté par la collectivité, alors que les bénéfices sont généralement captés par les entreprises qui développent les applications.

Or la première raison (progrès scientifique) s’efface trop souvent dans les débats aux détriments de la dernière– on veut faire de la recherche pour des objectifs macroéconomiques, mais on oublie d’en rappeler les bénéfices tangibles. C’est évidemment regrettable, à une époque où la science n’est plus seulement vue comme une facteur d’émancipation (ce qu’elle était il y a un siècle), mais aussi comme un facteur d’inquiétude (OGM, bioéthique, pollution liée au progrès technique et donc indirectement aux avancées scientifique).

Par ailleurs, si l’on veut de la compétitivité ou de la croissance, ce n’est pas forcément de recherche dont on a besoin, mais plutôt d’innovation. Or on peut faire de l’innovation sans recherche (en utilisant la recherche des autres, par exemple), on peut faire de la recherche sans innover (c’est le cas d’une partie de la recherche fondamentale ou en sciences humaines, dont les applications peuvent ne pas être immédiates, ou ne pas exister du tout). On peut innover d’une façon favorable à la croissance économique dans des domaines dans lequel il n’existe pas de recherche formalisée (l’accueil et le service des usagers du service public ou des demandeurs d’emploi). Enfin la compétitivité est liée à la façon de transformer une innovation en revenus : cette transformation n’est ni automatique, ni juste, ni morale – ainsi les avancées induites par l’invention du laser ont rapporté davantage à Johnny Halliday (par les revenus supplémentaires liés à la vente de CD musicaux) qu’à Albert Einstein (dont les travaux ont pourtant été déterminants). Faire de la recherche pour la compétitivité oblige donc à naviguer entre deux mondes – schématiquement le monde « altruiste » de la recherche scientifique (dont l’objectif est de partager le plus largement les publications et les résultats) et le monde « égoïste » de la recherche d’applications rentables (où il s’agit au contraire de partager le moins possible les revenus).

Il faut également noter qu’en matière de recherche, on trouve parfois les solutions là où on ne les cherche pas. C’est notamment pour cette raison qu’il faut se garder de trop opposer recherche en sciences dures et recherche en sciences humaines (j’y reviendrais par un exemple dans la conclusion de cet article) – ce qui n’empêche évidemment pas de fixer des limites au nombre et au type des projets qui peuvent être financés par la collectivité.

Enfin, on se fait souvent une idée très administrative et « taylorienne » de la recherche – comme si l’innovation pouvait naître de chercheurs recrutés sur leurs performances scolaires, suivis et notés aux résultats. Ce modèle est relativement adapté aux « innovations incrémentales » (faire comme avant, mais un peu mieux ou un peu différent – par exemple, faire un nouveau modèle de rasoir avec une lame de plus ou, plus sérieusement, envoyer un homme sur la lune après l’avoir envoyé faire un tour dans l’espace) mais totalement inadapté aux innovations « radicales » (création d’un produit entièrement nouveau). Les innovations radicales reposent sur un modèle très différent, dans lequel on ne sait pas faire grand-chose de plus que mettre des personnes créatives au même endroit, leur laisser une grande liberté – et se laisser la possibilité de leur voir trouver rien du tout, ou quelque chose de très différent de ce qui était attendu. Notons pour terminer que le développement du web fait de plus en plus apparaître, en dehors des chercheurs « labellisés » des contributions parfois de grande valeur (notamment dans le domaine des sciences sociales).

L’innovation en quelques exemples

Savez-vous comment est né le World Wide Web ? Pas des laboratoires de recherche militaire américains (ils ont plutôt développé le précurseur du réseau Internet, qui permet à un ensemble d’ordinateurs de se connecter pour créer un réseau). Pas des start-ups californiennes (elles ont essentiellement développé des applications une fois le web lancé). Pas des géants de l'informatique (même si Xerox avait eu des initiatives intéressantes, leur apport s'est essentiellement concentré sur le développement d’ordinateurs personnels bon marché). Pas des plans d’investissements publics centrés sur les réseaux (ils se sont essentiellement concentrés sur les réseaux universitaires et militaires).
Non, le web est né d’une initiative d'un contractuel d’un laboratoire de recherche européen (le Cern), qu'un contrôle de gestion rigoureux aurait freinée, si ce n'est empêchée : dans un laboratoire censé consacré ses moyens à la recherche nucléaire, Tim Berners-Lee réussit en effet à faire financer un projet consacré à un nouveau langage hypertexte. Pour schématiser à l’extrême : l'une des évolutions les plus importantes pour la diffusion de la connaissance, l'innovation ou le travail en groupe est née du fait que des chercheurs ont pu, sur leur temps de travail, gaspiller de l'argent (par rapport aux missions figurant sur leur contrat de travail ou dans les objectifs de l’organisme que les hébergeaient) !
Beaucoup des grandes découvertes ont des origines comparables. Ainsi la théorie de la relativité est-elle due à Albert Einstein, obscur employé de l’office des brevets de Berne, refusé par toutes les universités auxquelles il avait postulé. La découverte de la pénicilline est liée à une erreur de laboratoire, une expérience sur le développement de moisissures ayant contaminé par inadvertance une expérience sur des souches bactériennes. La radioactivité a également été découverte par hasard. Et les exemples ne sont pas limités à la recherche théorique ou fondamentale : l'invention du Post-It relève le même logique. De la même façon l’un des centres de recherche les plus prolifiques de l'histoire récente, Xerox Parc, responsable entre autre de l'imprimante laser, des systèmes d'interface avec souris, fenêtres et menus, du langage orienté objet voire du langage html a-t-il également été un échec financier pour son financeur – les applications rentable de ces recherches ayant été réalisées par des entreprises telles qu’HP, Apple ou Microsoft…
La société 3M, reconnue pour sa capacité d'innovation, a poussé ce système jusqu'au bout en définissant sa politique d'innovation comme suit : mettre des moyens importants, favoriser l'échange et le maillage entre des équipes différentes, laisser les chercheurs consacrer 15 % de leur temps à leurs recherches personnelles, et favoriser et valoriser les carrières d'experts plutôt que de vouloir transformer d'excellents chercheurs en mauvais gestionnaires.
Même dans les entreprises qui pratiquent la recherche à une échelle « industrielle »– les laboratoires pharmaceutiques – l’activité de recherche tient moins du travail à la chaîne que du lancer de fléchettes en aveugle – lancer 100 flèches au hasard pour espère en avoir au moins une dans la cible. Ainsi les laboratoires testent-ils chaque année des centaines de molécules pour ne retenir qu’un au deux produits au bout des tests de mise sur le marché, qui visent à identifier tous les effets d’un produit (et à vérifier qu’il ne présente pas de danger pour l’organisme). Ainsi ont-ils souvent des surprises – ce fut le cas avec le viagra, qui était à l’origine un médicament conçu pour traiter les problèmes de circulations, mais dont les tests in vivo firent apparaître une autre caractéristique qui a trouvé d’autres usages.

Que peut faire l’Etat pour développer l’innovation ?

Bien sûr, une nation ne se gère pas comme une entreprise : la politique de recherche de la France n’a pas pour seul objectif de faire vendre des produits. Elle doit permettre de former des étudiants (formation par la recherche, même pour des personnes qui ne travailleront jamais dans des laboratoires), de former des chercheurs, de faire avancer la recherche publique, tout en stimulant la recherche privée et en libérant l'innovation. Je donnerai cependant quelques pistes pour développer et accélérer l’innovation en France :
1 – Nous avons un système éducatif trop souvent axé sur « l’apprentissage d’un programme » et peu axé sur la collaboration, la créativité, l’initiative ou le travail en groupe. Or la recherche et/ou l’innovation repose souvent sur un mélange des trois. Il faut donc faire évoluer le système éducatif, pour enseigner dès le plus jeune âge que « tout n’est pas dans le programme » et qu’il peut y avoir des solutions qui n’existent pas encore dans les livres.
2 - Ensuite, en matière d’enseignement supérieur et de recherche, la France alloue des moyens par étudiant qui placent notre pays en queue de peloton (une analyse plus détaillée montrant que si la dépense annuelle par étudiant est plus faible que la moyenne, nous avons une dépenses sur l’ensemble des études supérieur moins défavorable, mais étalée sur un plus grand nombre d’année). Il faut une réforme conjointe de la politique de recherche (qui doit donner des axes cohérents et assumés, au niveau européen – tout en laissant évidemment une place à l’imprévu inhérent à tout processus d’innovation), des universités (qui doivent s’inscrire dans cette politique de recherche, en ayant les moyens et l’autonomie pour le faire), des grandes écoles (dont la formation doit inclure davantage de recherche, éventuellement par le biais de laboratoires communs avec des universités), du système d’orientation et de formation continue (car il n’y aurait pas de sens à envisager une réforme du système de formation initiale découplée du système de formation continue) ;
3 - L’initiative des pôles de compétitivité français est sympathique, mais bien peu d’entre eux ont une ampleur mondiale. Nos universités et grandes écoles sont petites, reposent sur un modèle atypique et souvent invisibles à l’échelle mondiale. Il faut concentrer les ressources au niveau européen – ce qui veut dire accepter que certains pôles ne soient pas français (par exemple les économies d’énergies, dans lesquelles les allemands ont plusieurs longueurs d’avance), en contrepartie de quoi les autres européens accepteraient que les moyens de recherche sur d’autres domaines soient concentrés en France au niveau européen (par exemple, l’optique à Orsay). Evidemment, il n’y a aucune raison que ces pôles soient concentrés à Paris…
4 - Notre système différencie beaucoup en fonction du statut (écoles d’ingénieurs mieux dotées que universités) plus qu’en fonction des résultats. C’est un véritable risque de voir les meilleures équipes de recherche quitter la France. Même s’il est difficile de juger la recherche, il faut différencier les moyens des équipes de recherche en fonction des résultats (faute de quoi il y a un risque fort de voir les meilleures équipes quitter la France).
5 - La recherche en entreprise est concentrée sur quelques grands groupes (EDF par exemple) et correspond à un modèle de « grands programmes ». C’est un modèle d’innovation, qui correspond aux innovations « incrémentales » poussées par une volonté (faire un peu mieux, envoyer un homme sur la lune après l’avoir envoyé autour de la terre,…) – qui pose également question lorsque d’ancien établissements publics deviennent des entreprises cotées dont certains actionnaires ont la possibilité juridique de les forcer à stopper toute recherche qui ne serait pas assez rentable pour eux (en invoquant l’abus de bien social ou l’abus de majorité). A coté de ce modèle des « grands programmes de grands groupes », il y a un autre modèle, qui passe davantage par la « destruction créatrice » (création d’entreprise), qui correspond davantage aux « innovations radicales » tirées par le marché (créer une technique ou un produit radicalement différents). Pour nous rapprocher de ce modèle, il faut rééquilibrer nos outils d’aide à l’innovation pour donner plus de place à l’innovation radicale (aide à la création d’entreprise, financement de « l’amorçage », appui aux personnes qui prennent des risques de carrière pour se lancer dans la création…).
6 – L’activité de transfert, consistant à parcourir les productions de la recherche pour développer les applications commerciales possibles devrait être renforcée. Il s’agit d’une tâche complexe, pour laquelle il n’existe pas de remède miraculeux si ce n’est de faciliter les transfert de personnes (mobilité temporaire ou définitive des chercheurs vers les entreprises, voir de cadres d’entreprises vers la recherche), et des idées (les pôles de compétitivité européens devraient mécaniquement faciliter ce rapprochement).
Enfin l’innovation est aussi une affaire de culture. C’est sans doute l’élément le plus complexe, le moins souvent abordé mais peut-être le plus important. Pour innover, il faut :

- que les créateurs français soient valorisés – or nous sommes à une époque où l’on valorise plus les métiers de la finance (dont une partie du rôle, au moins au niveau international, est de réallouer l’épargne mondiale des pays développés vers les pays en voie de développement, c'est-à-dire de réduire les moyens consacrés à l’innovation et à la croissance dans les pays de l’ouest) que les métiers de la création, surtout quant il s’agit de créer en France. Pour les grands groupes, la priorité actuelle est de croître à l’international – c’est là où leur intérêt économique les pousser à investir leurs ressources humaines et financières. Un modèle d’innovation en France passe donc pas une logique différente, qui repose nécessairement plus sur les acteurs plus centrés sur l’échelle locale (PME notamment) ;

- que les créateurs disposent d’un climat suffisamment clément pour pouvoir prendre des risques. Il ne s’agit pas que l’Etat prenne les risques à leur place – chacun doit rester dans son rôle. Mais notre système social donne une forte prime aux statuts. Quelques exemples : un fonctionnaire est valorisé par son « corps de fonctionnaire » (ie, l’étiquette dont il a hérité à 20 ans à l’issue d’examens sans lien direct avec les fonctions qu’il aura à assumer ensuite) plus que par ce qu’il a réalisé, un salarié qui démissionne pour créer son entreprise a moins de couverture sociale qu’un chômeur et n’a plus le droit aux allocations, le fait d’avoir tenté et échoué à la création d’entreprise reste une tâche sur un cv ;

- que l’innovation bénéfice à tous – c'est-à-dire que notre système social soit capable d’accompagner les « perdants de l’innovation ». C’est tout l’enjeu de ce que l’on appelle la « sécurité sociale professionnelle » dont je vous reparlerais volontiers. Faute d’un tel système, la France se condamne elle-même à l’immobilisme. C’est un point fondamental, qui est brillamment développé par John Sutton dans « Mondialisation, une perspective européenne ».

Je terminerai par une note plus philosophique. Derrière la question de l’innovation, il y a certes la question de la recherche (c'est-à-dire de la « professionnalisation de l’innovation ») mais aussi, et surtout, celle de « l’intelligence collective » – c'est-à-dire la façon dont un chercheur, un chef d’entreprise, un vendeur de génie peuvent travailler ensemble. C’est sans doute pour cela que les systèmes centralisés ou totalitaires sont peu innovants, même, comme c’était le cas dans le bloc de l’Est, quand ils disposent de chercheurs remarquables. Plusieurs études ont montré un lien entre le niveau de confiance qui unit les concitoyens d’un pays, et la capacité de se pays à croître et à innover. C’est ce que confirme la première place de pays à forte cohésion, tels que la Suède ou Israël, dans les classements mondiaux.

Il est difficile de ne pas lier cette réflexion à un constat : la France est l’un des pays développés où le niveau de confiance entre concitoyens est le plus faible (c’est ce que montre « l’enquête mondiale sur les valeurs », qui mesure notamment ce genre de choses). La France est un pays miné pour l’inquiétude et l’angoisse, qu’il s’agisse de celle des cadres, des salariés menacés, des chômeurs ou des exclus. Il est difficile d’innover ou d’investir dans un projet d’innovation – forcément long et risqué – dans un tel climat d’angoisse et de défiance. C’est là la première priorité pour la France – et elle se situe entièrement dans le champ politique.

mercredi, avril 04, 2007

Programme économique : et la justice ?

Les projets économiques des candidats à la présidence de la république marquent un recul des programmes macroéconomiques (en gros, les mesures par lesquels un pays fait jouer son déficit, sa fiscalité, son taux de change ou ses taux d'intérêts pour « relancer » l'activité), et une progression des propositions microéconomiques (c'est-à-dire les propositions qui améliorent les incitations des français à créer plus d'activité, ou qui simplifient leurs démarches).

Il y a plusieurs raisons à celà. La première d'entre elles est la montée des contraintes qui rendent difficiles la réalisation des programmes « macro » (le déficit, la fiscalité ou la dette peuvent difficilement être augmentés significativement, et les taux sont fixés par la BCE). Une autre raison tient à la faible crédibilité de ces programmes auprès du grand public – les réalisations passées sont au mieux modestes, et l'explication de leur succès recourre généralement à des démonstrations abstraites qui ne convainquent pas. Une dernière raison tient à l'ouverture internationale et européenne désormais forte de l'économie française, qui rend difficile une politique franco-française.

En contrepartie, les propositions micro-économiques prennent du poids dans les programmes présidentiels, notamment dans le domaine de l'emploi : la nécessité de renforcer l'orientation, la formation et l'accompagnement fait désormais consensus. L'urgence de rendre plus simple les règles sociales également – même s'il reste des divergences directement liées au clivage politique, la droite privilégiant le point de vue de l'entreprise (poussant à un cadre légal le plus léger possible, quitte à ce que les branches ou les entreprises proposent mieux), et la gauche celui du salarié (n'envisageant une plus grande agilité pour les entreprises que dans un cadre permettant d'éviter de transférer trop de précarité sur les salariés). C'est également vrai dans le domaine de l'efficacité du service public (Ségolène Royal comme Nicolas Sarkozy ont eu des déclarations sans ambiguïté sur ce thème) ou dans le domaine de la recherche et de l'innovation (la nécessité de réformer notre université et notre système de recherche fait également consensus).

Il existe pourtant un domaine qui est trop peu présent dans les débats, alors que les candidats y affectent des moyens importants dans leurs programmes : la réforme de la justice. Cette réforme est pourtant cruciale du point de vue économique, à plusieurs titres :

- d'abord, il existe un volet économique à la justice, qui mériterait largement un débat sur le rapport entre ses coûts et ses bénéfices. Il s'agit notamment des tribunaux de commerces, dont la réforme est urgente autant que redoutée par tous ceux qui bénéficient des incohérences ou des rentes de la situation actuelle ;

- ensuite, il est nécessaire de réformer notre production de textes pour mieux mesurer le coût et les incertitudes projetés sur les justiciables. Cela suppose évidemment un certain courage, notamment lorsque l'intérêt des français suppose une simplification, voir une déjudiciarisation partielle ou totale – est-il normal qu'un divorce pour consentement mutuel coûte environ 4000 euros, soit plus de 4 mois de salaire net pour un smicard ?

- enfin, alors que le débat politique fait apparaître, à gauche comme à droite, une volonté d'être jugé sur les résultats, le fonctionnement de la justice échappe encore largement à cette logique. Les français disposent-il de moyens simples, clairs et peu coûteux pour connaître leurs droits ? Les français qui ont des litiges avec leur banque ou leur assureur sont-ils satisfaits ? Le système proposé est-il le plus adapté et les moins coûteux, ou faut-il développer d'autres outils (médiation, arbitrage, class-actions, numéros d'informations sur les droits des française…) ?

Ces réformes sont importantes, car une mauvaise procédure ou une procédure trop opaque imposent à l'économie une « taxe de complexité » - qui a les mêmes conséquences qu'une taxe classique, à une différence près : elle coûte aux justiciables sans rien rapporter à l'Etat. Il serait donc souhaitable de procéder à droits constants à un « re-enginnering » en profondeur du fonctionnement de notre système judiciaire, pour simplifier, réduire au strict minimum les incertitudes juridiques. A l'heure où internet, les centres d'appels et les techniques de production de masse de services révolutionnent l'accès à l'information, on pourrait largement éviter que les citoyens « censés ne pas ignorer la loi » doivent recourir à un avocat simplement pour comprendre les règles auxquelles ils sont soumis. Une telle opération revaloriserait le rôle des administrations (la justice n'est pas le ministère le mieux rémunéré, ni celui qui est le plus réputé pour présenter des sureffectif), et apaiserait les relations des français (en donnant un cadre plus clair et plus facilement accessible). Elle contribuerait certainement à accélérer la croissance économique. Et dans la mesure où la réduction de la "taxe de complexité" bénéficierait aux entreprises et aux citoyen sans les priver de ressources publiques, il est bien possible qu'elle apporte plus à l'économie française que les autres baisses prélèvements proposées dans cette campagne...

jeudi, mars 15, 2007

Débat sur les chiffres du chômage : il faut renforcer les institutions

Le débat sur les chiffres du chômage m’a amené à évoquer, sur France Culture, l’idée d’une commission d’enquête afin de lever les doutes suscités par cette polémique. Cette proposition a amené un certain nombre de commentaires, qui m’amènent à donner quelques précisions.

D’abord, je voudrais préciser l’idée qu’il y avait derrière cette commission d’enquête : il ne s’agissait pas d’une suspicion sur une institution – l’INSEE – ou sur une personne – son directeur général. La réputation d’indépendance de l’INSEE et de ses membres est forte, et j’ai à titre personnel plusieurs exemples de « résistance » de l’INSEE face à des pressions politiques, et peu d’exemples d’allégeance.

Il s’agissait, au contraire, d’amener rapidement dans ce débat trois choses essentielles : la transparence sur ce qui s’est réellement passé, l’introduction de contrepouvoirs dans un débat qui ne doit pas se limiter à un débat d’experts, et une mesure forte et symbolique, traduisant l’importance donnée à la qualité et à l’indépendance des statistiques – afin de tuer dans l’œuf tout soupçon de manipulation.

Car au-delà du débat – récurrent dans toute campagne - sur les chiffres et la réalité qu’ils mesurent, nous avons plusieurs questions de fond. Premier problème, nous sommes l’un des rares pays européens dans lesquels l’institut statistique ne dispose pas d’une indépendance garantie par la loi : le directeur général de l’INSEE et nommé – et révocable – par le ministre de finances. Même si, en pratique, les directeurs généraux de l’INSEE ont une durée de vie élevée, ils ne disposent pas des garanties sur la durée de leur mandat qui sont données aux présidents d’autres institutions dites « indépendantes ».

Deuxième problème, l’INSEE ne dispose pas de réel contrepouvoir, comme le serait, par exemple, un organe de surveillance constitué de personnalités qualifiées (y compris des parlementaires de tout bord et des représentants syndicaux) et qui aurait pour vocation de trancher les débats tels que celui de la modification de la date de publication des chiffres du chômage. Certes, il existe un Conseil National de l’Information Statistique, qui réunit des experts et qui se réunit régulièrement. Dans la pratique, l’INSEE a donné au CNIS de nombreuses précisions sur les raisons qui l’ont poussé à modifier la date de publication du taux de chômage au sens du BIT. Mais l’absence d’un contrepouvoir laissait l’INSEE seule face à une décision de savoir si, compte tenu des questions de méthodologie posées par les statisticiens, il fallait reporter cette statistique, ou la diffuser immédiatement accompagnée de précisions méthodologiques.

Troisième problème, le débat politique est riche en lettres et en petites phrases, mais manque souvent de chiffres. De la même façon, le débat sur les statistiques reste extrêmement décevant. Or c’est le débat démocratique devrait définir les objectifs poursuivis (notamment en matière d’emploi et de chômage), et donc indirectement ce qui doit être mesuré. En effet, réduire le chômage en catégorie 1 n’est pas un objectif pertinent, car il peut être atteint par des radiations, des emplois aidés non qualifiants ou beaucoup d’autres moyens. Suivre cette statistique au mois le mois n’a pas grand sens si on ignore l’évolution du nombre d’emplois précaires, du nombre de salariés sur un emploi déclassé, de chômeurs découragés, de chômeurs sans perspectives précises. Ce dernier débat ne concerne pas directement l’INSEE : l’INSEE est là pour mesurer correctement les statistiques. Il concerne le politique, la façon dont il précise ses objectifs, et la façon dont sont mis en place les outils de mesure permettant de vérifier, démocratiquement, que ce qui a été promis sera fait.

A ces trois problèmes, il est nécessaire d’apporter des solutions de court terme (afin de tuer dans l’œuf tout doute sur la qualité des statistiques). Mais le plus important est surtout des solutions de long terme : donner à l’INSEE une indépendance inscrite dans la loi, la doter de contrepouvoirs (sous la forme d’un organe de surveillance), et avoir un vrai débat sur ce que les français veulent, en matière de chômage mais pas uniquement, afin que le système statistique fournisse tous les éléments nécessaires au débat démocratique.

Au total, la polémique sur les chiffres du chômage ne doit pas escamoter le plus important : la nécessité d'un véritable débat sur ce qui doit être mesuré (et sur quoi les candidats doivent rendre des comptes)...

lundi, mars 12, 2007

Une émission sur les chiffres du chomage

Je suis passé sur France Culture ce jour sur l'épineuse question des chiffres du chomage : http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/grain/

dimanche, mars 04, 2007

Financement des projets présidentiels, ou comment détruire des emplois avec des mesures qui en créent

Francois Bayrou propose dans son projet d'exonérer de charges les deux premières embauches réalisées par toute entreprise.

Prise isolément, cette proposition aura nécessairement un effet positif sur l'emploi : en effet, même s'il est clair que ce type d'aide génère toujours des effets d'aubaine (beaucoup d'entreprises créent des emplois, et bénéficieront de cette aides pour des emplois qu'elles auraient créés de toutes facons), il n'en reste pas moins que le coût de ces embauches étant réduit (de 20 à 30 %), un certain nombre d'entreprises y auront recours pour des projets qu'elles n'auraient pas réalisés en temps normal.

Peut-on considérer pour autant que ce projet va créer des emplois ? En fait non, et c'est sans doute le contraire qui va se réaliser. En effet Francois Bayrou que l'une des sources de financement de son programme est la réduction des exonérations de cotisations sur les bas salaires. Or ces mesures sont, en matière d'exonération de cotisations, les dispositifs qui ont le rapport cout/emploi créé le plus favorable : en effet, elle ne concernent que les salaires les plus bas, pour lesquels le cout d'exonération par salarié est le plus faible, et pour lesquels l'impact d'une baisse de charge sur le niveau de l'emploi est le plus fort. En effet, l'embauche d'un salarié peu qualifié est plus facile à remplacer par une délocalisation ou une automatisation, et est contrainte par l'existence d'un salaire minimum, contrairement à celle d'un cadre supérieur : baisser le cout n'a donc pas grand effet sur la décision d'embauche dans le second cas, contrairment au premier.

Autrement dit la proposition de Francois bayrou reviendra à remplacer en partie une exonération relativement efficace (les exonérations sur les bas salaires) par une exonération qui aura sans doute un effet, mais moindre que l'exonération qu'il supprimera en contrepartie. Au total, l'effet sur l'emploi sera négatif (sans parler de l'effet lié à la création d'une exonération spéficique supplémentaire, s'ajoutant à une panoplie illisible d'environ une cinquantaine de dispopsitifs différents). Enfin, comme le signale justement Jean Pisani , on réduire également l'effet emploi des exonérations en donnant aux entreprise s le signal que, décidément, les aides accordées pour une embauche ne sont pas pérenne, et qu'il ne faut pas trop compter dessus dans ses décisions d'embauche à long terme.

Voilà comment ce projet va détruire des emplois en donnant l'impression d'en créer !

mardi, février 20, 2007

Une émission sur l'emploi

Je suis intervenu mardi 20 février sur France Inter sur la question de l'évolution du modèle français pour l'emploi. Vous pouvez écouter l'émission ici : http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/grain/

lundi, février 19, 2007

Chiffrage : pour quoi faire ?

On parle beaucoup du chiffrage des programmes. Je n'entrerais pas dans le débat sur le cout des promesses (aux journalistes, aux partis et aux observateurs divers de débattre pour clarifier le débat). L’initiative de www.debat2007.fr de chiffrer les promesses prononcées publiquement par les candidats donne une information intéressante et utile, non parce qu’elle apporte des chiffres à graver dans le marbre (chacun peut avoir son idée sur ce qui sera fait, ou pas fait, et avoir ses propres hypothèses de chiffrage), mais surtout parce qu’elle pose un débat sain pour le choix démocratique. Pour etre démocratique, ce débat doit évidemment donner lieu à contradiction, et toutes les contributions à cette discussions sont les bienvenues. Et bien évidemment, on ne doit pas construire le débat présidentiels sur le cout des projet et leur impact sur les finances publiques - tout comme il serait également inconcevable que les projets n'en tiennent pas compte !

Mais le coût d’un projet présidentiel (souvent en milliards) donne un chiffre abstrait. Il est plus utile de disposer d’informations sur le niveau de dette, de déficit ou de prélèvements qui attendent les français - ou de vérifier si les déclarations de dépenses, de dette et de déficit sont cohérentes entre elles !

Pour cela, il faut savoir passer du coût des projets présidentiels à une estimation rapide du déficit ou de la dette fin 2012. C’est exactement ce que fait l’outil « cyberbudget » signalé dans les Echos de la semaine dernière. Cet outil est riche, mais un peu complexe et fourni sans mode d'emploi. Il me donne donc l’occasion de donner quelques explications, et de donner au passage quelques informations en matière de finances publiques.


D’abord, quelques chiffres. Le déficit public (hors soultes et autres effets comptables) devrait s’établir fin 2006 autour de 2,8 points de PIB, différence entre des dépenses (53,8 points de PIB environ) et des recettes (51 points du PIB). La dette s’établira quant à elle à environ 65 points de PIB.



La façon dont ce déficit évolue au cours du temps peut se calculer de façon relativement simple, sur la base de l’hypothèse suivante : les recettes sont stable par rapport au PIB, alors que les dépenses (hors grands projets présidentiels) progressent généralement moins vite. Ainsi, si on suppose que l’ensemble des dépenses ne progresse que de 1,5 % par an hors inflation (ce qui n’est arrivé que 4 fois sur les 25 dernières années) alors que la croissance s’établit à 2,5 % par an, la dépense publique rapporté au PIB baisse de 1 % chaque année. En effet si la dépense augmente de 1,5 % et le PIB augmente de 2,5 %, la dépense divisée par le PIB baisse de 2,5 - 1,5 = 1 %.



On peut ensuite estimer la dette : en montant absolu, la dette une année est égale à la dette l’année précédente plus le déficit. Si la croissance fait 2,5 % et l’inflation 2 %, la dette en points de PIB progressera 4,5 % moins vite que la dette en niveau absolu. Ainsi, s’il n’y a pas de déficit le niveau absolu de la dette restera constant, ce qui représente une baisse 4,5 %. Avec une dette qui représente 65 points de PIB, le seul effet de l’inflation et de la croissance fait baisser la dette de 2,8 points par an environ.


Voyons maintenant l'utilisation du modèle cyberbudget sur un exemple. Prenez par exemple un candidat hypothétique qui promettrait une baisse de prélèvements de 4 points de PIB, et dont vous estimez que le programme coûterait 3,2 points de PIB. Son programme coûterait donc au total 7,2 points de PIB.



Placez 7,2 (ou 7.2 si votre navigateur est configuré pour le système américain) dans la case « coût du programme de la rubrique « Variables ». Cliquons sur le petit rond après « Dette » puis sur « Calculer » : nous obtenons le niveau de dette auquel conduirait le projet, soit près de 74 points de PIB (soit nettement au-dessus du seuil de 60 % de nos engagements européens) !



Cliquez maintenant sur le petit rond après « croissance » et inscrivons « 50 » dans la case « Dette » de la rubrique « Variables ». Cliquez sur « Calculer » pour obtenir le taux de croissance qui permettrait de financer ce programme en réduisant la dette à 50 points de PIB : il faudrait une croissance de près de 4,5 % pour y arriver !



Inscrivez « 64 » dans la case « Dette » de la rubrique « Variables », et 2.5 % dans la case « Croissance ». Cliquez sur le petit rond après « Coût du programme », puis sur « calculer », pour obtenir le coût du programme qui permettrait d’avoir une dette en 2012 inférieure à celle de 2006. La réponse est de 3,45 points de PIB : autrement dit le si ce candidat veut maîtriser la dette, ce candidat ne fera pas la moitié de ce qu’il a annoncé !


Pour utiliser le modèle sur les vrais projets, vous pouvez trouver sur debat2007 une estimation des principales promesses des candidats, que vous pouvez compléter, le cas échéant, de votre propre analyse des mesures qui y seront ajoutée ou retranchées ou des précisions données par les partis politiques sur les couts de leurs engagements.

De là, il est facile de calculer le coût du programme en points de PIB : un point de PIB « valant » 17 milliards, le coût en points de PIB s’obtient en divisant par 17 le coût en milliards d’euros.

Vous pouvez enfin ajuster les hypothèses d’inflation ou de croissance (les valeurs par défaut constituant des valeurs « raisonnables » au vu de l’Etat actuel des finances publiques et de l’économie française.

Pour finir, deux « tests » peuvent être utilisés pour vérifier si un programme est crédible :

- finit-il en 2012 avec un niveau de dette de l’ordre de 60 % du PIB ? Dans le cas contraire, il est probable que le programme ne soit pas réalisé, tant la pression de nos partenaires européens, mais également l’application des critères de Maastricht, excluent que la France se lance dans une voie d’augmentation de sa dette, alors qu’elle dépasse déjà largement le seuil de 60 % ;

- repose-t-il sur des hypothèses réalistes de progression des dépenses publiques ? Au vu des 25 dernières années, le niveau de 1,5 % est déjà ambitieux, puisqu’il n’a été atteint 4 fois. De plus, les dépenses publiques sont constituées à près de la moitié par les dépenses de santé, dont l’évolution ne se stabilisera pas, notamment pour des raisons tenant au vieillissement : selon la CNAM, les dépenses de santé s’élèvent à moins de 900 € par an pour les moins de 25 ans, à 3 000 € pour les 60-74 ans et plus de 5 200 € pour les plus de 75 ans. D’ailleurs, dans tous les pays, les dépenses de santé progressent plus vite que le PIB : le stabilisation de l’ensemble des dépenses publique est donc irréaliste, sauf à supprimer des remboursements (ce qui ne diminuera pas les dépenses de santé des français, mais fera baisser la part comptabilisée en dépense publique).

Et si le programme ne passe pas ces tests, il a toutes les chances de ne pas être réalisé...

mercredi, janvier 24, 2007

Polémique sur les chiffres du chomage : au-delà des statistiques, la crédibilité de la république

Une polémique a été soulevée récemment par le Canard Enchaîné sur les chiffres du chômage. Cet sujet complexe mérite une petite explication.

D'abord, comment mesurer le chomage ? Comme le rappelle l'INSEE, il existe en France deux mesures. Le première consiste à comptabiliser les personnes inscrites à l'ANPE. En fonction du type d'emploi recherché par ces demandeurs (à temps plein, à temps partiel, en CDD ou en CDI), ils sont comptabilisés dans différentes catégories. L'indicateur le plus courant est le chômage de catégorie 1 (chômeurs cherchant un emploi en CDI à temps plein).

Cette mesure est relativement restrictive, puisqu'elle ne comptabilise que ceux qui ont fait la démarche pour s'inscrire (notamment pour bénéficier des allocations chômage, mais ces dernières ne concernant que moins d'un chomeur sur deux, les autres ayant des allocations telles que le RMI, ou rien du tout) et qui ont été acceptés. Cet indicateur mesure donc moins le nombre de personnes qui recherchent un emploi, que le nombre de celles qui en recherchent un grâce au service public de l'emploi, soit qu'ils y soient fortement incités, soit qu'ils y trouvent un intérêt.

L'autre mesure est le chômage au sens du Bureau International du Travail, ou BIT. Selon l'INSEE, c'est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément à trois conditions : ne pas avoir travaillé durant une semaine, être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours et chercher activement un emploi. Ce chômage est mesuré par sondage, ce qui permet de toucher des personnes qui cherchent activement un emploi sans pour autant s'inscrire à l'ANPE. Entre deux sondages, il est estimé, notamment à partir du chômage ANPE - ce qui ne pose pas de problème si les deux définitions du chômage évoluent dans le même sens.

Pour résumer, le premier indicateur mesure le nombre de personnes aidées dans leur recherche par l'ANPE, et le second mesure le nombre de chomeur existant réellement : quand les deux baissent en même temps, c'est bon signe et c'est logique (s'il y a moins de chomeurs, il y a moins de personnes à aider). En revanche quand le premier baisse, mais pas le second c'est mauvais signe et inquiétant : celà signifie qu'on aide moins des chômeurs toujours aussi nombreux (ca peut être le cas s'ils sont radiés abusivement des liste de l'ANPE).

Si l'en croit le Canard Enchaîné, c'est ce qui se serait produit récemment, la publication l'actualisation du chômage BIT ayant été repoussée à après les élections . Si celà était vrai, ce serait extrêmement grave, et placerait la France à un niveau proche de celui de ces républiques bananières, où les statistiques publiques, les médias et la monnaie sont les jouets du pouvoir politique. Qui voudrait investir dans un pays qui manipule les informations sur sa santé (et donc indirectement le cours de ses actions), à la manière d'un Enron manipulant ses comptes ?

On pourrait penser qu'il ne s'agit que d'une vague querelle d'experts. C'est au contraire une question fondamentale, qui met en question la confiance que le monde, français y compris, peut placer dans la France. Face à une telle accusation, qu'il faut espèrer infondée, la meilleure solution pour le gouvernement serait dépêcher immédiatement une enquête sur la réalité de la situation et pour le parlement de lancer une commission d'enquête. Non pas en raison d'un soupcon sur l'institution ou sur son personnel, mais, au contraire parce qu'il s'agirait de la seule facon de lever tout doute sur la statistique publique...


NB : Plus d'infos sur les définitions ici.

samedi, janvier 20, 2007

Marx, l’Ile de Ré et l’impôt sur la fortune

Le débat sur l’ISF oppose en fait deux visions de la fiscalité. Un premier point de vue considère que le capital résultant d’accumulation de revenus (salaires, successions, gains au loto…), il vaut mieux taxer les revenus une bonne fois pour toute, et exonérer (ou taxer légèrement) le capital. C’est la thèse de nombreux économistes. C’est aussi, d’une certaine façon, celle de Marx puisqu’elle revient à considérer que le capital n’est rien d’autre que du « travail immobilisé ». Notons au passage qu’il est incohérent de plaider pour la suppression de l’impôt sur la fortune et la baisse des droits de successions – ou plutôt qu’un telle position relève d’une logique de négation de l’impôt qui n’a rien à voir ni avec l’efficacité économique, ni avec la justice fiscale.

Un deuxième point de vue considère qu’ « une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés » (article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Dans cette optique, un impôt sur le capital est un complément nécessaire aux impôts sur le revenu et sur la consommation si l'on souhaite répartir l'effort de solidarité fiscale sur des formes de richesse qui ne se traduisent pas forcément en revenus.

Dans cette seconde optique, refuser le principe d'un impôt sur la fortune, c'est considérer qu'un salarié qui gagne 4 000 euros par mois et paye 1 500 euros de loyer est plus riche et doit donc payer plus d'impôts qu'un autre qui gagne 3 000 euros par mois mais qui est propriétaire d'un appartement de 400 m2 valorisé à 2,5 millions d'euros, hérité de ses parents, ou produit d'achats et de reventes successives d'une résidence principale aux bons moments du cycle immobilier. En effet, sans impôt sur le capital, le premier sera toujours plus taxé que le deuxième.

Notons qu’il existe deux façons de rapprocher la deuxième approche de la première. D’abord, en définissant un « revenu en nature » pour chaque élément de patrimoine : posséder un logement revient en effet à bénéficier d’un « loyer en nature ». Or, si celui qui possède un million de placements et paye le loyer d’un logement qui en vaut autant paie un impôt sur le revenu du capital, celui qui possède un appartement valant un million ne paye rien. Le deuxième objectera évidemment qu’il ne « gagne rien », ce qui n’est pas tout à fait exact : il gagne le fait d’habiter dans un logement luxueux, ce qui vaut beaucoup ! Cette taxation est d’autant plus justifiée que le revenu résultant de la plus-value sur le logement principal est en France exonérée d’impôt : nous sommes donc précisément dans le cas où l’argument selon lequel le capital est un « revenu capitalisé » est inexact, puisque le revenu concerné n’a précisément pas été imposé !

Le problème posé par cette approche est le « syndrome de l’Ile de Ré » : des paysans qui ont des revenus faibles, mais qui sont imposés parce que le fait d’habiter un ferme devient du luxe, dès lors que les prix de l’immobilier font de cette ferme un bien convoité ! Le problème politique est réel : accepter un impôt qui force un paysan de l'île de Ré qui n'a rien changé à son mode de vie à vendre un terrain parce que le prix du terrain a augmenté autour de lui, c'est accepter un système qui soumet la liberté de certains aux errements du marché. Notons cependant que l'impôt sur le revenu ou la TVA comportent le même type d'injustice : la TVA payée sur un bien volé ou perdu ou l'impôt sur le revenu payé par un contribuable qui épargne totalement, perd ou dilapide ce revenu, touchent également des contribuables qui peuvent avoir un train de vie réel très modeste.

La seconde façon pour rapprocher les deux visions de la fiscalité consisterait à « capitaliser » l’ISF pour le percevoir au moment des successions. Il serait par exemple tout à fait possible de «capitaliser» l'ISF dû au titre d'actifs non productifs de revenus (une ferme à l’ile de Ré par exemple) sous la forme d'une hypothèque qui ne serait acquittée qu'au moment de la succession ou de la cession du bien. Le paysan de l'île de Ré serait sauf, tant qu'il ne vend pas son terrain, et il ne subirait aucune pression pour vendre son bien. La justice fiscale serait également sauve, puisque le principe d'une taxation progressive des richesses serait appliqué de façon uniforme, sans créer une de ces niches qui font que chacun finit par avoir l'impression d'être le seul à payer réellement l'impôt théoriquement dû par tous.

dimanche, janvier 14, 2007

Le bonheur : une idée neuve en économie ?

Il est généralement admis que les décisions politiques qui permettraient d’augmenter le revenu de tous les français sont de bonnes décisions. Mais qu’en est-il des politiques qui ralentiraient le PIB pour accélérer la baisse du chômage ? Ou de celles qui détériorent le cadre de vie (emplois précaires, problèmes de santé au travail ou conditions de travail tellement stressantes qu’elles finissent par déteindre – voir à détruire – la vie familiale) ?

Pour répondre à ces questions, il faudrait disposer d’études permettant de savoir à quelle augmentation de revenu équivaut, par exemple, le fait de rester en bonne santé, stable dans sa vie professionnelle ou dans sa vie familiale. Or ces études existent, et même si leurs résultats mériteraient d’être approfondis et confirmés, elles donnent des enseignements utiles pour le débat présidentiel.

Ainsi, selon Oswald, il faut en moyenne, 270.000 livres sterling de plus par an pour compenser en termes de bonheur le fait de perdre son emploi. Pour compenser la perte d’un être cher, il faut 170.000 livres annuelles. Pour compenser l’impact psychologique d’une perte d’emploi, il faut jusqu’à 490.000 livres annuelles.

Ces chiffres confirment une chose : les vœux de début d’année portent généralement sur l’amour, la santé et la réussite professionnelle plutôt que sur l’argent, ce n’est pas pour rien. En effet, si l’on suit les résultats de cette étude, l’évolution du niveau de revenu est secondaire par rapport aux autres évènements de la vie – puisqu’il faut des augmentations phénoménales de revenu pour compenser des peines de santé, d’emploi ou de cœur. C’est à la fois banal, et totalement révolutionnaire – si l’on prend en compte le fait que la plupart des modèles économiques stipulent que les individus recherchent avant tout un revenu plus élevé. Avis à ceux qui proposent un programme à la France en partant d’une comparaison entre notre pays et un marché : c’est donc Meetic, le « marché » des cœurs à prendre, plus que Wall Street qui représenterait le modèle le plus pertinent.

Ces études apportent également des résultats plus paradoxaux. Comme par exemple le fait que le niveau de bonheur semble, au-delà d’un certain point, diminuer avec la durée des études. Ou le fait que, passé un certain revenu par habitant de l’ordre de 10 à 15.000 euros par an, il n’y a plus de lien systématique entre l’augmentation du PIB et l’augmentation du nombre de personnes se déclarant heureuses.

Notons que ces études ne bannissent pas pour autant les politiques publiques d’innovation ou de qualification qui permettraient d’augmenter la croissance : une augmentation du revenu « consensuelle » qui se réaliserait sans effet majeur sur les autres composantes du bonheur serait évidemment souhaitable. Il est par ailleurs indéniable que le « lieu de sociabilité » des français n’est plus uniquement la famille ou le village, mais souvent l’entreprise. Le progrès économique ou l’état de santé des entreprises française n’est pas donc, loin s'en faut, un facteur négligeable. En revanche on pourrait questionner sérieusement une politique de croissance qui ne réduirait pas le chômage, qui dégraderait les conditions de travail sans bénéfice clair, dont les bénéfices seraient mal répartis (et dont les responsables d’entreprises eux-mêmes déclareraient ne pas avoir besoin).

En rêvant un peu et en extrapolant (abusivement) ces résultats, on pourrait proposer la nationalisation des sites de rencontres et des agences matrimoniales, au sein d’un grand service public de la vie conjugale. C’est un peu ce qu’a fait Singapour, seul pays au monde – à ma connaissance – à disposer d’un ANPE des cœurs. En discutant de ce sujet crucial avec un responsable diplomatique singapourien de cette agence, ce dernier m'avait cependant indiqué que l'initiative publique répondait à un besoin fort de leur concitoyens, frappés par la baisse du rôle des familles dont la formation des couples (pour dire vrai, le même responsable m'indiqua ensuite "Mais dès que cette agence sera rentable, nous la privatiserons !"). On pourrait aussi proposer un programme qui augmenterait les impôts, mais réduirait le chômage, multiplierait les grandes fêtes populaires (et donc les possibilités de rencontres), et augmenterait sensiblement les moyens de prévention et santé publique. On pourrait aussi recommander de lier toute politique de développement de la formation à un objectif final (civique, philosophique, professionnel…), faute de quoi l’on risque de voir l’évolution du niveau d’études s’accompagner d’une augmentation des frustrations.

Juger les politiques publiques sur le fait qu’elles puissent rendre heureux ? Avant d’opérer une « rupture » aussi osée, il faudrait évidemment approfondir et préciser les résultats ci-dessus. Il faudrait par exemple positionner sur l’échelle du bonheur des éléments tels que l’insécurité réelle ou perçue, la satisfaction de besoins essentiels (logement/chauffage/nourriture/…) ou la qualité du cadre de vie. On ne peut donc que regretter vivement que les nombreux instituts d’étude et d’analyse stratégique financés sur fonds publics n’en aient pas fait un thème d’étude prioritaire. En effet, s’il n’est pas du ressort de la politique de faire bonheur des peuples malgré eux, il ne serait pas inutile d’approfondir la nature et l’ampleur de l’effet des politiques publiques sur la satisfaction de nos concitoyens.