dimanche, janvier 14, 2007

Le bonheur : une idée neuve en économie ?

Il est généralement admis que les décisions politiques qui permettraient d’augmenter le revenu de tous les français sont de bonnes décisions. Mais qu’en est-il des politiques qui ralentiraient le PIB pour accélérer la baisse du chômage ? Ou de celles qui détériorent le cadre de vie (emplois précaires, problèmes de santé au travail ou conditions de travail tellement stressantes qu’elles finissent par déteindre – voir à détruire – la vie familiale) ?

Pour répondre à ces questions, il faudrait disposer d’études permettant de savoir à quelle augmentation de revenu équivaut, par exemple, le fait de rester en bonne santé, stable dans sa vie professionnelle ou dans sa vie familiale. Or ces études existent, et même si leurs résultats mériteraient d’être approfondis et confirmés, elles donnent des enseignements utiles pour le débat présidentiel.

Ainsi, selon Oswald, il faut en moyenne, 270.000 livres sterling de plus par an pour compenser en termes de bonheur le fait de perdre son emploi. Pour compenser la perte d’un être cher, il faut 170.000 livres annuelles. Pour compenser l’impact psychologique d’une perte d’emploi, il faut jusqu’à 490.000 livres annuelles.

Ces chiffres confirment une chose : les vœux de début d’année portent généralement sur l’amour, la santé et la réussite professionnelle plutôt que sur l’argent, ce n’est pas pour rien. En effet, si l’on suit les résultats de cette étude, l’évolution du niveau de revenu est secondaire par rapport aux autres évènements de la vie – puisqu’il faut des augmentations phénoménales de revenu pour compenser des peines de santé, d’emploi ou de cœur. C’est à la fois banal, et totalement révolutionnaire – si l’on prend en compte le fait que la plupart des modèles économiques stipulent que les individus recherchent avant tout un revenu plus élevé. Avis à ceux qui proposent un programme à la France en partant d’une comparaison entre notre pays et un marché : c’est donc Meetic, le « marché » des cœurs à prendre, plus que Wall Street qui représenterait le modèle le plus pertinent.

Ces études apportent également des résultats plus paradoxaux. Comme par exemple le fait que le niveau de bonheur semble, au-delà d’un certain point, diminuer avec la durée des études. Ou le fait que, passé un certain revenu par habitant de l’ordre de 10 à 15.000 euros par an, il n’y a plus de lien systématique entre l’augmentation du PIB et l’augmentation du nombre de personnes se déclarant heureuses.

Notons que ces études ne bannissent pas pour autant les politiques publiques d’innovation ou de qualification qui permettraient d’augmenter la croissance : une augmentation du revenu « consensuelle » qui se réaliserait sans effet majeur sur les autres composantes du bonheur serait évidemment souhaitable. Il est par ailleurs indéniable que le « lieu de sociabilité » des français n’est plus uniquement la famille ou le village, mais souvent l’entreprise. Le progrès économique ou l’état de santé des entreprises française n’est pas donc, loin s'en faut, un facteur négligeable. En revanche on pourrait questionner sérieusement une politique de croissance qui ne réduirait pas le chômage, qui dégraderait les conditions de travail sans bénéfice clair, dont les bénéfices seraient mal répartis (et dont les responsables d’entreprises eux-mêmes déclareraient ne pas avoir besoin).

En rêvant un peu et en extrapolant (abusivement) ces résultats, on pourrait proposer la nationalisation des sites de rencontres et des agences matrimoniales, au sein d’un grand service public de la vie conjugale. C’est un peu ce qu’a fait Singapour, seul pays au monde – à ma connaissance – à disposer d’un ANPE des cœurs. En discutant de ce sujet crucial avec un responsable diplomatique singapourien de cette agence, ce dernier m'avait cependant indiqué que l'initiative publique répondait à un besoin fort de leur concitoyens, frappés par la baisse du rôle des familles dont la formation des couples (pour dire vrai, le même responsable m'indiqua ensuite "Mais dès que cette agence sera rentable, nous la privatiserons !"). On pourrait aussi proposer un programme qui augmenterait les impôts, mais réduirait le chômage, multiplierait les grandes fêtes populaires (et donc les possibilités de rencontres), et augmenterait sensiblement les moyens de prévention et santé publique. On pourrait aussi recommander de lier toute politique de développement de la formation à un objectif final (civique, philosophique, professionnel…), faute de quoi l’on risque de voir l’évolution du niveau d’études s’accompagner d’une augmentation des frustrations.

Juger les politiques publiques sur le fait qu’elles puissent rendre heureux ? Avant d’opérer une « rupture » aussi osée, il faudrait évidemment approfondir et préciser les résultats ci-dessus. Il faudrait par exemple positionner sur l’échelle du bonheur des éléments tels que l’insécurité réelle ou perçue, la satisfaction de besoins essentiels (logement/chauffage/nourriture/…) ou la qualité du cadre de vie. On ne peut donc que regretter vivement que les nombreux instituts d’étude et d’analyse stratégique financés sur fonds publics n’en aient pas fait un thème d’étude prioritaire. En effet, s’il n’est pas du ressort de la politique de faire bonheur des peuples malgré eux, il ne serait pas inutile d’approfondir la nature et l’ampleur de l’effet des politiques publiques sur la satisfaction de nos concitoyens.