Article publié avec Christian Saint-Étienne (universitaire et membre du Conseil d'analyse économique) dans le Figaro le 23 April 2012
Fin 2011, notre déficit a été réduit, mais la dette a continué à progresser à 85,8 points de PIB. Compte tenu des niveaux de croissance attendus dans les années à venir, le déficit devra être durablement réduit sous la barre des 2,5 % pour ramener la dette à 60 % du PIB. Or les pays qui ont réduit leurs déficits ont bénéficié des effets de la croissance, de l'inflation ou du temps. De 1983 à 1987, la Nouvelle-Zélande a réduit son déficit de plus de 6 points avec près de 6 % d'inflation. De 1993 à 1998, la Suède a réduit ses déficits de 12 points avec plus de 3 % de croissance. La Belgique a pu réduire sa dette de 25 points, mais sur dix ans de 1993 à 2004.
Une gestion prudente des finances publiques ne permet pas de compter sur des contextes aussi favorables, et nos prélèvements se situant déjà à des niveaux élevés, dont la hausse nous impose des arbitrages entre pouvoir d'achat à court terme et compétitivité, donc également pouvoir d'achat, à moyen terme. Il faudra donc freiner les dépenses avec une ampleur inédite : depuis cinquante ans, nous ne sommes parvenus qu'une fois à obtenir une croissance annuelle en volume inférieure à 1,5 % sur un quinquennat. Avec une croissance du PIB « prudente » de 2 %, ce rythme demanderait dix ans pour annuler un déficit de 5 points.
Mais ce freinage des dépenses induit deux risques. Le premier risque serait une croissance déprimée par la réduction des dépenses publiques. Le deuxième risque serait que la pression sur la dépense se traduise en dégradation de la qualité de service public plutôt qu'en productivité.
Pour éviter ce second risque, un pilotage complexe est nécessaire. Pour que la pression budgétaire ne réduise pas le champ, la qualité ou l'accès, il faut commencer par mesurer correctement ces trois dimensions de la valeur du service public - or cette évaluation est encore très insuffisante. Dans l'idéal, cette question appelle à une solution européenne : pour améliorer les coûts et la qualité des produits et services marchands, la solution retenue était le marché unique. Pour les services publics, souvent hors marché, c'est l'évaluation, la comparaison et l'échange de bonnes pratiques européennes qui doivent être privilégiés. Une telle comparaison permettrait en outre à la France de valoriser son modèle basé sur des dépenses élevées (identifiables dans les séries comptables) et des services à valeur élevée (qu'aucune série statistique ne valorise actuellement).
Le risque d'une rigueur qui pèserait sur la croissance à court terme renvoie à un choix de trajectoire budgétaire : il suffit pour l'éviter de réduire en priorité les dépenses courantes (surcoûts d'achats, inefficacités d'organisation, services publics à moindre valeur ajoutée ou pouvant être distribués de façon moins coûteuse...), tout en augmentant temporairement les investissements d'avenir. La réduction du déficit est alors « lissée » par l'anticipation d'une partie investissements, mais le déficit peut être réduit très fortement dès lors que la croissance le permettrait. Il n'y a donc pas de raison macroéconomique pour retarder les réformes sur les dépenses courantes. Elles doivent être engagées le plus rapidement possible, car elles mettent plusieurs années à produire leurs effets. S'il y a un ajustement à réaliser pour épargner la croissance, il faut le faire en augmentant ou en anticipant des investissements d'avenir !
Lors du prochain quinquennat, il faudra donc certes plus de rigueur comptable, mais également porter plus d'attention à la valeur des services publics et aux investissements de long terme. Car, comme une entreprise, il y a deux voies pour qu'un État fasse faillite : soit en ignorant ses comptes et en repoussant les réformes, soit au contraire en réduisant sa stratégie à un objectif comptable, au détriment de ses clients, de ses partenaires ou d'une vision de long terme.