Rama Cont, professeur a Columbia, a écrit un article éclairant sur le rôle des agences de notation. Il dépasse, de loin, tout ce que j'ai pu lire avant sur le même sujet.
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Je vous signale également une excellente étude publiée par le Sécratariat d'Etat à la Prospective sur le lien entre confiance et croissance.
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samedi, novembre 17, 2007
mardi, novembre 06, 2007
Le chômage en France : un problème de gestion des risques
Beaucoup de chômage, peu de moyens pour aider les chômeurs
La France se distingue par la sous-utilisation de sa main d’œuvre qui touche particulièrement ceux qui tentent d’entrer ou de réentrer sur le marché du travail – qu’il s’agisse de salariés licenciés ou non reconduits (contrat à durée déterminée, interim), de jeunes à la recherche d’un premier emploi, ou de seniors poussés vers des préretraites ou tenus à l’écart de l’emploi. Au total, près de 15 à 20 % de la population active est ainsi inutilisée (1) . Une autre partie de la main d’œuvre sous-utilisée concerne des salariés titulaires d’un emploi mais surqualifiés (jusqu’à 25 % des salariés selon les estimations) ou encore ceux qui disposent d’un potentiel que notre économie ne sait pas pleinement utiliser.
Notre pays se caractérise également par la faiblesse de ses résultats en matière de traitement du chômage. Les montants très élevés – de la dépense pour l’emploi ou de la formation professionnelle – cachent des résultats médiocres ainsi que l’attestent deux simples statistiques. En effet, selon un premier chiffre issu de l’enquête « Emploi du temps » de l’Insee, un demandeur d’emploi français passe, en moyenne, environ trente minutes par jour à chercher un emploi. Cela montre à quel point nous laissons l’individu démuni face à un problème (le chômage) dont la responsabilité est pourtant majoritairement collective (2) . Et, selon un second chiffre, à la question « Avez-vous bénéficié d’une formation l’an dernier ? », les salariés français sont ceux qui, en Europe, répondent le plus souvent par la négative car notre système de formation professionnelle concentre ses moyens sur les individus déjà les plus qualifiés.
Il y a désormais consensus sur le fait que notre système est inadapté. En revanche, il n’y a pas accord sur les causes profondes du chômage.
Le chômage en lien avec la gestion collective des risques économiques
La cause profonde du chômage français tient à notre incapacité collective à gérer le risque économique, notamment parce que nos institutions fonctionnent sur des schémas d’il y a cinquante ans – c'est-à-dire d’une époque antérieure à la libéralisation des marchés financiers ou des biens et services. Ces libéralisations ont apporté de nombreux bénéfices aux consommateurs (plus de choix et de pouvoir d’achat) et aux entreprises (un accès plus simple et plus ample au financement), au prix d’une accélération de la transmission des chocs économiques. Schématiquement, le délai entre la perte de compétitivité d’un produit (devenu trop cher ou ne correspondant plus au goût du consommateur) et la remise en cause de l’emploi de celui qui le fabrique s’est considérablement réduit : c’est une bonne nouvelle pour la productivité, mais une moins bonne nouvelle pour les salariés.
En effet, auparavant, les salariés étaient protégés par le fait que les entreprises « amortissaient » les chocs économiques notamment grâce à l’existence de barrières à l’entrée d’entreprises concurrentes et de produits alternatifs. La libéralisation financière et le développement de la concurrence intra-européenne et mondiale ont accéléré la rupture de ce « pacte » – qui n’était sans doute pas soutenable à long terme dans une économie ouverte – sans pour autant qu’un système plus cohérent n’ait été mis en place pour le remplacer. Notre système de protection individuelle contre le risque économique s’est progressivement réduit, au point que les Français perdant leur emploi, notamment les plus modestes, se considèrent victimes d’une profonde injustice : celle de devoir supporter à titre individuel les effets d’un dysfonctionnement, le chômage, dont les causes sont collectives.
Aucune des politiques publiques mises en place n’a abordé ce point fondamental qui aurait nécessité un véritable « changement de paradigme » dans la façon de concevoir nos politiques sociales. À la place, il a été plus confortable et moins dérangeant de traiter les symptômes avec des politiques pour les jeunes (emplois aidés, aides à l’insertion), pour les seniors (préretraites, contribution « Delalande » taxant le licenciement de salariés âgés – et décourageant de fait leur embauche –), pour les victimes de plans sociaux (qui représentent moins de 10 % des entrées au chômage et font souvent moins de victimes que les plans de terminaison massive de contrats d’interim), ou encore en créant des guichets qui accueillent les demandeurs d’emploi sans disposer des moyens de les aider vraiment. L’une des meilleures illustrations des limites de ce traitement symptomatique du chômage est sans doute la concomitance paradoxale entre une baisse des charges destinée à favoriser l’emploi (en rétablissant les profits par la baisse des coûts salariaux) et l’augmentation du Smic au-delà de l’obligation légale – qui a eu l’effet exactement inverse.
Gérer les risques économiques avec justice et efficacité
En résumé, notre économie subit des chocs divers (innovation, concurrence, modification des goûts des consommateurs, épuisement de ressources rares…). Même si certains de ces chocs sont au bénéfice de la collectivité, ils représentent tous des risques pour les individus (salariés, patrons de petites et moyennes entreprises, PME). Le problème politique pourrait être résumé ainsi : gérer ces risques avec justice et efficacité.
L’objectif de justice
Cet objectif conduit à faire en sorte que l’impact de ces chocs soit réparti de façon équitable. La tâche est difficile, comme le montrent deux exemples :
- en matière d’ouverture à la concurrence internationale, la bonne solution n’est ni de supprimer brutalement les droits de douane, ni de créer des barrières à l’entrée, mais de conserver (temporairement) des droits de douane limités dont le montant permette de financer l’ajustement des secteurs touchés par l’ouverture des frontières, de façon à ce que « les gagnants payent pour les perdants ». C’est très indirectement ce qui a été fait dans le secteur automobile dont l’ouverture à la concurrence a été progressive, les constructeurs ayant obtenu des restrictions sur les modes de distribution qui ont, de fait, bloqué l’entrée des modèles étrangers. Entre temps, le secteur automobile français a pu se mettre à niveau notamment grâce à l’aide de l’État en matière de préretraite. Cependant, il est la plupart du temps très difficile d’identifier les gagnants, les perdants, et d’organiser des transferts des premiers vers les seconds.
- de la même façon, il est généralement difficile de taxer les nouveaux produits pour financer « les perdants de l’innovation ». On peut cependant citer l’exception des contributions mises en place sur les supports informatiques pour financer les auteurs ou interprètes « victimes » des innovations liées au numérique.
Au total, les difficultés pratiques conduisent rapidement à renoncer à des outils sectoriels au profit d’outils généraux : faire contribuer les gagnants par le biais de taxes sur les profits ou sur les tranches élevées de revenu, aider les perdants par le biais de dispositifs de « sécurisation des parcours professionnels ». Notons au passage que l’on peut également faire en sorte que notre système évite de pénaliser les perdants, par exemple. C’est l’objet du débat sur la TVA sociale qui vise à asseoir – comme quasiment partout ailleurs dans le monde – le financement de prestations générales liées à la famille ou la santé sur des impôts généraux (lesquels taxent les consommateurs de produits importés, c’est-à-dire les « gagnants » de la mondialisation) plutôt que sur des contributions pesant sur les salaires (qui aggravent les difficultés des « perdants »).
L’objectif d’efficacité
Cet objectif implique, quant à lui, de faire porter les risques économiques par ceux qui peuvent les contrôler.
Dans ce domaine, notre système peut être largement amélioré (3) .
Notre système d’assurance chômage fait payer une prime unique quel que soit le risque du contrat (CDI, CDD, interim…) et quelles que soient les pratiques d’emploi de l’entreprise concernée. Les États-Unis, de leur côté, pratiquent un système de bonus/malus qui permet d’éviter de faire subventionner les secteurs qui « consomment » de la précarité par ceux qui ont une structure d’emploi plus stable, ou qui préparent davantage la reconversion professionnelle de leurs salariés. S’il est clair qu’un système de bonus/malus contient une part d’arbitraire qui peut générer des injustices (4), il reste globalement plus juste et beaucoup plus efficace qu’un système sans modulation. Dans le domaine de l’assurance chômage, un tel dispositif devrait évidemment être accompagné d’un certain nombre d’adaptations, notamment pour assurer qu’il ne dissuade pas d’embaucher les salariés les moins employables.
Comme l’explique brillamment John Sutton (5) , notre incapacité à protéger nos concitoyens contre les risques économiques pèse lourdement sur la compétitivité et l’efficacité de notre économie. En effet, la compétitivité d’un pays tel que la France tient avant tout en sa capacité à prendre rapidement des positions dans des secteurs porteurs, et à intégrer dans sa production des produits à bas coûts : pour être compétitif à l’export, il faut savoir bien importer. Il sera donc très difficile d’être compétitif si le dispositif public ne garantit pas que les agents économiques les plus exposés (salariés, petits commerçants, entrepreneurs…) ne soient pas trop perdants (6) . Plus généralement, cette « rigidité française » conduit à vivre comme une menace tout changement, même lorsqu’il est porteur d’amélioration.
Enfin, le statut du chômage est actuellement un statut par défaut – c’est le statut de ceux qui n’en ont plus –, stigmatisant du point de vue social (un demandeur d’emploi est isolé, parfois considéré comme une charge, et souvent suspecté). Au contraire, on devrait considérer que celui qui passe du temps à identifier le poste qui utilise au mieux ses compétences, et à s’y préparer (via une formation par exemple), réalise une tâche utile socialement : il permet de faire en sorte que la réserve de compétences de notre pays s’adapte au besoin du marché. Dans cette perspective, l’indemnisation du chômage cesserait d’être une aumône ou un dû pour devenir un revenu correspondant à une réelle activité. Cela supposerait de définir un rôle d’« employeur de dernier ressort » (qui existe sous une forme ou sous une autre dans la plupart des pays développés), assurant à ceux qui se sont engagés dans cette voie un débouché, sous des conditions et dans un cadre à définir. Il pourrait s’agir de l’État (sous la forme d’emplois aidés à la française, ou encore d’allocations de handicap à la nordique), ou d’entreprises qui tiendraient ce rôle par délégation de l’État (comme c’est déjà le cas via les aides à l’emploi ou les quotas d’emploi de travailleurs handicapés).
Conclusion
Au final, cette analyse revient à admettre qu’une économie de marché génère plus de richesses mais également plus de risques. Si l’on souhaite éviter que ces risques pèsent sur les plus vulnérables, il nous manque au moins trois éléments essentiels.
D’abord, un meilleur partage des risques avec une cotisation bonus/malus pour financer l’assurance chômage (sous une forme adaptée aux spécificités du domaine social) et une définition claire des missions et responsabilités de l’« employeur de dernier ressort » (sans lequel il n’est pas possible de garantir totalement contre le risque économique). En contrepartie, une partie des risques qui pèsent sur l’entreprise (risques juridiques, ou d’allongement des procédures) pourrait être réduite.
Ensuite, il est nécessaire d’offrir un statut plus clair et valorisant à ceux qui se lancent dans une recherche active d’emploi, statut qui reconnaîtrait que leur démarche sert un objectif collectif d’adaptation de notre économie. Les retours à l’emploi seraient alors accélérés et de meilleure qualité. Dans le même temps, la suspicion qui pèse sur les demandeurs d’emploi, liée au fait qu’on leur propose surtout une indemnisation, et bien peu d’encadrement, diminuerait sensiblement.
Enfin, il faut des moyens adaptés – plus importants, mais surtout mieux répartis, et mis à la disposition d’acteurs publics moins divers mais très fortement responsabilisés – afin d’aider le demandeur d’emploi à faire un bilan sur sa situation et ses compétences, sur les possibilités offertes par le marché et lui permettre d’atteindre la meilleure situation qu’il puisse raisonnablement attendre.
Au total, dans un pays parfois présenté comme averse au risque, c’est précisément sur un meilleur partage et une meilleure gestion des risques qu’il faut fonder une réforme sociale.
----------
1 . Une démarche similaire conduirait de la même façon à des taux majorés dans de nombreux pays, une partie des publics comptabilisés comme chômeurs en France étant comptabilisée hors de la population active aux États-Unis – en particulier dans la population carcérale –, ou comme handicapés dans certains pays d’Europe du Nord.
2 . Qu’il s’agisse de la macroéconomie, des défauts de nos institutions sociales, et plus généralement de toutes les incohérences qui maintiennent un chômage élevé.
3 . Les éléments présentés ici reprennent largement les conclusions de « Changer de paradigme pour supprimer le chômage », co-écrit avec Jacques Attali (note électronique n° 15, Fondation Jean Jaurès, décembre 2005).
4 . Comme le constatera tout automobiliste ayant eu un accident impliquant une part de malus.
5 . « Mondialisation, une perspective européenne », traduit par la Fondation Jean Jaurès, disponible sur internet : http://fondatn7.alias.domicile.fr/bdd/doc/nweb06.pdf
6 . Une étude du McKinsey Global Institute (« How France can win from offshoring ») montre ainsi que lorsque les États-Unis délocalisent 1 $ de production, le pays gagne 0,14 à 0,17 $. La France en revanche perd environ 0,26 $, essentiellement parce qu’elle n’arrive pas à réemployer rapidement ceux qui ont perdu leur emploi sur des fonctions plus productives…
La France se distingue par la sous-utilisation de sa main d’œuvre qui touche particulièrement ceux qui tentent d’entrer ou de réentrer sur le marché du travail – qu’il s’agisse de salariés licenciés ou non reconduits (contrat à durée déterminée, interim), de jeunes à la recherche d’un premier emploi, ou de seniors poussés vers des préretraites ou tenus à l’écart de l’emploi. Au total, près de 15 à 20 % de la population active est ainsi inutilisée (1) . Une autre partie de la main d’œuvre sous-utilisée concerne des salariés titulaires d’un emploi mais surqualifiés (jusqu’à 25 % des salariés selon les estimations) ou encore ceux qui disposent d’un potentiel que notre économie ne sait pas pleinement utiliser.
Notre pays se caractérise également par la faiblesse de ses résultats en matière de traitement du chômage. Les montants très élevés – de la dépense pour l’emploi ou de la formation professionnelle – cachent des résultats médiocres ainsi que l’attestent deux simples statistiques. En effet, selon un premier chiffre issu de l’enquête « Emploi du temps » de l’Insee, un demandeur d’emploi français passe, en moyenne, environ trente minutes par jour à chercher un emploi. Cela montre à quel point nous laissons l’individu démuni face à un problème (le chômage) dont la responsabilité est pourtant majoritairement collective (2) . Et, selon un second chiffre, à la question « Avez-vous bénéficié d’une formation l’an dernier ? », les salariés français sont ceux qui, en Europe, répondent le plus souvent par la négative car notre système de formation professionnelle concentre ses moyens sur les individus déjà les plus qualifiés.
Il y a désormais consensus sur le fait que notre système est inadapté. En revanche, il n’y a pas accord sur les causes profondes du chômage.
Le chômage en lien avec la gestion collective des risques économiques
La cause profonde du chômage français tient à notre incapacité collective à gérer le risque économique, notamment parce que nos institutions fonctionnent sur des schémas d’il y a cinquante ans – c'est-à-dire d’une époque antérieure à la libéralisation des marchés financiers ou des biens et services. Ces libéralisations ont apporté de nombreux bénéfices aux consommateurs (plus de choix et de pouvoir d’achat) et aux entreprises (un accès plus simple et plus ample au financement), au prix d’une accélération de la transmission des chocs économiques. Schématiquement, le délai entre la perte de compétitivité d’un produit (devenu trop cher ou ne correspondant plus au goût du consommateur) et la remise en cause de l’emploi de celui qui le fabrique s’est considérablement réduit : c’est une bonne nouvelle pour la productivité, mais une moins bonne nouvelle pour les salariés.
En effet, auparavant, les salariés étaient protégés par le fait que les entreprises « amortissaient » les chocs économiques notamment grâce à l’existence de barrières à l’entrée d’entreprises concurrentes et de produits alternatifs. La libéralisation financière et le développement de la concurrence intra-européenne et mondiale ont accéléré la rupture de ce « pacte » – qui n’était sans doute pas soutenable à long terme dans une économie ouverte – sans pour autant qu’un système plus cohérent n’ait été mis en place pour le remplacer. Notre système de protection individuelle contre le risque économique s’est progressivement réduit, au point que les Français perdant leur emploi, notamment les plus modestes, se considèrent victimes d’une profonde injustice : celle de devoir supporter à titre individuel les effets d’un dysfonctionnement, le chômage, dont les causes sont collectives.
Aucune des politiques publiques mises en place n’a abordé ce point fondamental qui aurait nécessité un véritable « changement de paradigme » dans la façon de concevoir nos politiques sociales. À la place, il a été plus confortable et moins dérangeant de traiter les symptômes avec des politiques pour les jeunes (emplois aidés, aides à l’insertion), pour les seniors (préretraites, contribution « Delalande » taxant le licenciement de salariés âgés – et décourageant de fait leur embauche –), pour les victimes de plans sociaux (qui représentent moins de 10 % des entrées au chômage et font souvent moins de victimes que les plans de terminaison massive de contrats d’interim), ou encore en créant des guichets qui accueillent les demandeurs d’emploi sans disposer des moyens de les aider vraiment. L’une des meilleures illustrations des limites de ce traitement symptomatique du chômage est sans doute la concomitance paradoxale entre une baisse des charges destinée à favoriser l’emploi (en rétablissant les profits par la baisse des coûts salariaux) et l’augmentation du Smic au-delà de l’obligation légale – qui a eu l’effet exactement inverse.
Gérer les risques économiques avec justice et efficacité
En résumé, notre économie subit des chocs divers (innovation, concurrence, modification des goûts des consommateurs, épuisement de ressources rares…). Même si certains de ces chocs sont au bénéfice de la collectivité, ils représentent tous des risques pour les individus (salariés, patrons de petites et moyennes entreprises, PME). Le problème politique pourrait être résumé ainsi : gérer ces risques avec justice et efficacité.
L’objectif de justice
Cet objectif conduit à faire en sorte que l’impact de ces chocs soit réparti de façon équitable. La tâche est difficile, comme le montrent deux exemples :
- en matière d’ouverture à la concurrence internationale, la bonne solution n’est ni de supprimer brutalement les droits de douane, ni de créer des barrières à l’entrée, mais de conserver (temporairement) des droits de douane limités dont le montant permette de financer l’ajustement des secteurs touchés par l’ouverture des frontières, de façon à ce que « les gagnants payent pour les perdants ». C’est très indirectement ce qui a été fait dans le secteur automobile dont l’ouverture à la concurrence a été progressive, les constructeurs ayant obtenu des restrictions sur les modes de distribution qui ont, de fait, bloqué l’entrée des modèles étrangers. Entre temps, le secteur automobile français a pu se mettre à niveau notamment grâce à l’aide de l’État en matière de préretraite. Cependant, il est la plupart du temps très difficile d’identifier les gagnants, les perdants, et d’organiser des transferts des premiers vers les seconds.
- de la même façon, il est généralement difficile de taxer les nouveaux produits pour financer « les perdants de l’innovation ». On peut cependant citer l’exception des contributions mises en place sur les supports informatiques pour financer les auteurs ou interprètes « victimes » des innovations liées au numérique.
Au total, les difficultés pratiques conduisent rapidement à renoncer à des outils sectoriels au profit d’outils généraux : faire contribuer les gagnants par le biais de taxes sur les profits ou sur les tranches élevées de revenu, aider les perdants par le biais de dispositifs de « sécurisation des parcours professionnels ». Notons au passage que l’on peut également faire en sorte que notre système évite de pénaliser les perdants, par exemple. C’est l’objet du débat sur la TVA sociale qui vise à asseoir – comme quasiment partout ailleurs dans le monde – le financement de prestations générales liées à la famille ou la santé sur des impôts généraux (lesquels taxent les consommateurs de produits importés, c’est-à-dire les « gagnants » de la mondialisation) plutôt que sur des contributions pesant sur les salaires (qui aggravent les difficultés des « perdants »).
L’objectif d’efficacité
Cet objectif implique, quant à lui, de faire porter les risques économiques par ceux qui peuvent les contrôler.
Dans ce domaine, notre système peut être largement amélioré (3) .
Notre système d’assurance chômage fait payer une prime unique quel que soit le risque du contrat (CDI, CDD, interim…) et quelles que soient les pratiques d’emploi de l’entreprise concernée. Les États-Unis, de leur côté, pratiquent un système de bonus/malus qui permet d’éviter de faire subventionner les secteurs qui « consomment » de la précarité par ceux qui ont une structure d’emploi plus stable, ou qui préparent davantage la reconversion professionnelle de leurs salariés. S’il est clair qu’un système de bonus/malus contient une part d’arbitraire qui peut générer des injustices (4), il reste globalement plus juste et beaucoup plus efficace qu’un système sans modulation. Dans le domaine de l’assurance chômage, un tel dispositif devrait évidemment être accompagné d’un certain nombre d’adaptations, notamment pour assurer qu’il ne dissuade pas d’embaucher les salariés les moins employables.
Comme l’explique brillamment John Sutton (5) , notre incapacité à protéger nos concitoyens contre les risques économiques pèse lourdement sur la compétitivité et l’efficacité de notre économie. En effet, la compétitivité d’un pays tel que la France tient avant tout en sa capacité à prendre rapidement des positions dans des secteurs porteurs, et à intégrer dans sa production des produits à bas coûts : pour être compétitif à l’export, il faut savoir bien importer. Il sera donc très difficile d’être compétitif si le dispositif public ne garantit pas que les agents économiques les plus exposés (salariés, petits commerçants, entrepreneurs…) ne soient pas trop perdants (6) . Plus généralement, cette « rigidité française » conduit à vivre comme une menace tout changement, même lorsqu’il est porteur d’amélioration.
Enfin, le statut du chômage est actuellement un statut par défaut – c’est le statut de ceux qui n’en ont plus –, stigmatisant du point de vue social (un demandeur d’emploi est isolé, parfois considéré comme une charge, et souvent suspecté). Au contraire, on devrait considérer que celui qui passe du temps à identifier le poste qui utilise au mieux ses compétences, et à s’y préparer (via une formation par exemple), réalise une tâche utile socialement : il permet de faire en sorte que la réserve de compétences de notre pays s’adapte au besoin du marché. Dans cette perspective, l’indemnisation du chômage cesserait d’être une aumône ou un dû pour devenir un revenu correspondant à une réelle activité. Cela supposerait de définir un rôle d’« employeur de dernier ressort » (qui existe sous une forme ou sous une autre dans la plupart des pays développés), assurant à ceux qui se sont engagés dans cette voie un débouché, sous des conditions et dans un cadre à définir. Il pourrait s’agir de l’État (sous la forme d’emplois aidés à la française, ou encore d’allocations de handicap à la nordique), ou d’entreprises qui tiendraient ce rôle par délégation de l’État (comme c’est déjà le cas via les aides à l’emploi ou les quotas d’emploi de travailleurs handicapés).
Conclusion
Au final, cette analyse revient à admettre qu’une économie de marché génère plus de richesses mais également plus de risques. Si l’on souhaite éviter que ces risques pèsent sur les plus vulnérables, il nous manque au moins trois éléments essentiels.
D’abord, un meilleur partage des risques avec une cotisation bonus/malus pour financer l’assurance chômage (sous une forme adaptée aux spécificités du domaine social) et une définition claire des missions et responsabilités de l’« employeur de dernier ressort » (sans lequel il n’est pas possible de garantir totalement contre le risque économique). En contrepartie, une partie des risques qui pèsent sur l’entreprise (risques juridiques, ou d’allongement des procédures) pourrait être réduite.
Ensuite, il est nécessaire d’offrir un statut plus clair et valorisant à ceux qui se lancent dans une recherche active d’emploi, statut qui reconnaîtrait que leur démarche sert un objectif collectif d’adaptation de notre économie. Les retours à l’emploi seraient alors accélérés et de meilleure qualité. Dans le même temps, la suspicion qui pèse sur les demandeurs d’emploi, liée au fait qu’on leur propose surtout une indemnisation, et bien peu d’encadrement, diminuerait sensiblement.
Enfin, il faut des moyens adaptés – plus importants, mais surtout mieux répartis, et mis à la disposition d’acteurs publics moins divers mais très fortement responsabilisés – afin d’aider le demandeur d’emploi à faire un bilan sur sa situation et ses compétences, sur les possibilités offertes par le marché et lui permettre d’atteindre la meilleure situation qu’il puisse raisonnablement attendre.
Au total, dans un pays parfois présenté comme averse au risque, c’est précisément sur un meilleur partage et une meilleure gestion des risques qu’il faut fonder une réforme sociale.
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1 . Une démarche similaire conduirait de la même façon à des taux majorés dans de nombreux pays, une partie des publics comptabilisés comme chômeurs en France étant comptabilisée hors de la population active aux États-Unis – en particulier dans la population carcérale –, ou comme handicapés dans certains pays d’Europe du Nord.
2 . Qu’il s’agisse de la macroéconomie, des défauts de nos institutions sociales, et plus généralement de toutes les incohérences qui maintiennent un chômage élevé.
3 . Les éléments présentés ici reprennent largement les conclusions de « Changer de paradigme pour supprimer le chômage », co-écrit avec Jacques Attali (note électronique n° 15, Fondation Jean Jaurès, décembre 2005).
4 . Comme le constatera tout automobiliste ayant eu un accident impliquant une part de malus.
5 . « Mondialisation, une perspective européenne », traduit par la Fondation Jean Jaurès, disponible sur internet : http://fondatn7.alias.domicile.fr/bdd/doc/nweb06.pdf
6 . Une étude du McKinsey Global Institute (« How France can win from offshoring ») montre ainsi que lorsque les États-Unis délocalisent 1 $ de production, le pays gagne 0,14 à 0,17 $. La France en revanche perd environ 0,26 $, essentiellement parce qu’elle n’arrive pas à réemployer rapidement ceux qui ont perdu leur emploi sur des fonctions plus productives…
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